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— Nombre des domus cardinalium sont accompagnés dans notre opuscule de la remarque : statuis exornata, multis marmoribus suffulta ; dans telle halle, il est noté des sarcophages avec des sculptures représentant les travaux d’Hercule, dans tel viridarium des vases avec des reliefs figurant un sacrifice et le rapt des Sabines. Nous sommes bien loin de l’indifférence en matière d’antiquités que déplorait Poggio vers le milieu du siècle précédent ; nous nous doutons à quel point depuis ce temps le sol de Rome et de la campagna a dû être fouillé et retourné à la recherche des anticaglie ; nous saisissons aussi sur le vif les origines de ce « peuple de marbre » qui remplit de nos jours les salles immenses du Vatican.

Rencontre singulière, au même moment où un Florentin à l’esprit délié et généreux signale ainsi au monde les merveilles de la nova urbs et exalte ses destinées futures, un Romain de vieille roche et de haute lignée ne peut se consoler de l’abaissement de sa cité natale et de son irrémédiable décadence ! Marc-Antonio Altieri[1] appartient par ses relations de famille et de société à cette caste seigneuriale des monts Sabins et Albains, qui, durant des siècles, n’a fait que terroriser les papes, pressurer le peuple et se détruire elle-même dans des luttes sans pitié et sans idée. En 1511, Altieri joindra encore les Colonna, Orsini, Savelli, etc., dans leur folle entreprise pour a le rétablissement des antiques libertés au Capitole ; » en attendant, dans ces années 1506 à 1509, il emploie ses loisirs à composer un écrit aussi bizarre de style (italien) que de teneur et de tendance, mais qui, à son moment, a dû jouir d’une certaine vogue, puisqu’on en trouve de très nombreuses copies dans les diverses bibliothèques de la péninsule. Il est question de tout dans cette élucubration décousue, et surtout des malheurs et des misères du temps… « Rome, autrefois reine de l’univers, est tellement déchue aujourd’hui, que ses habitans eux-mêmes ne voient plus en elle qu’une caverne sombre et horrible. Combien de familles jadis riches, puissantes, illustres et maintenant ou complètement extirpées ou à moitié annihilées ! Combien de demeures, jadis fondées pour le plaisir des gens de qualité (per la recreatione de’ gentilhomini), et, à l’heure qu’il est, disparues ; à peine reconnaît-on la trace de leurs anciennes halles ! Mais, que parlons-nous des palais : il suffit de jeter un regard sur des quartiers entiers ! .. » Un des interlocuteurs, Pierleone (car les Nuptiali

  1. Li Nuptiali di Marco Antonio Altieri, éd. Narducci, Rome, 1873. L’éditeur a très bien établi que l’écrit a été confectionné de 1506 à 1509 ; c’est exactement à la même époque que le chanoine florentin a composé son Opusculum.