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passionnés sur le mérite du théâtre welche ou saxon sortiront un examen judicieux et une glorification suprême des tragédies d’Eschyle et de Sophocle. Une tournée de vacances d’un peintre obscur aux environs de Salerne révélera tout à coup l’existence des temples de Paestum et la majesté sublime de l’architecture grecque. Deux petites villes de province, englouties par l’éruption d’un volcan et demeurées sous terre près de deux mille ans, sortiront soudain de leur tombe, secoueront leur linceul de lave, et la splendeur de leurs bronzes, la grâce de leurs peintures murales, de leurs joyaux et jusqu’aux outils de la vie ordinaire, donneront l’échelle, bien réduite à coup sûr, mais bien prégnante aussi, de ce qu’a dû être le grand art de la grande époque. Les notions reçues sur l’idéal classique subiront insensiblement une révision graduelle : on commencera à distinguer entre l’original et la copie, à faire la part du génie hellénique et du génie romain dans l’héritage légué par les anciens.

« Viendra ensuite un siècle à nul autre pareil pour l’ardeur dans la recherche et l’universalité dans la compréhension. Ce siècle étudiera les langues, les croyances et les arts de tous les peuples dans leurs origines les plus reculées et dans leur développement le plus éclatant. L’idéal classique, il le reconstruira pièce par pièce, dans ses épopées, dans ses drames, dans ses temples et dans tout son monde de statues. Il interrogera avec acharnement les restes mutilés du Pirée et d’Olympia, de Pergame et de Rhodes ; il rétablira la chaîne des temps depuis les marbres de Sélinonte et d’Égine jusqu’aux reliefs informes de l’arc de Constantin, et assignera au moindre débris de l’antiquité sa date et son école avec une sagacité merveilleuse… Ironie éternelle des choses d’ici-bas ! Ce siècle, si admirable par l’ampleur de ses investigations et l’étendue de ses connaissances, ne saura en revanche rien créer, rien produire, et il n’est pas jusqu’à sa curiosité universelle qui ne sera la marque fatale de sa stérilité incurable ! Une fois de plus, cette pauvre humanité aura renouvelé l’expérience souvent faite déjà, et que connut le premier homme dès les premiers jours de la création : l’arbre de la science n’est point l’arbre de la vie…

« Et du haut de cette voûte, après tant de périodes révolues, vous pourrez toujours, ô Buonarroti, — comme ce Jéhovah dont vous venez de créer ici même le type incomparable, immortel, — contempler votre œuvre et voir que cela était bon, et défier les générations à venir, de faire mieux ou seulement rien d’approchant… »

Signore, si chiude ! me cria d’en bas le custode, impatient de sa liberté et de sa buona mancia.


JULIAN KLACZKO.