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La spécialité de miss King est de peindre cette race de couleur avec ses traits indélébiles, mais elle a aussi touché à d’autres sujets, toujours avec le même art. L’Histoire d’une petite église nous la révèle fermement protestante et franchement Américaine ; nous lui savons gré d’autant plus de l’impartialité qui lui permet d’approfondir sans préjugés les âmes catholiques et créoles. Ne parle-t-elle pas du doux accent de l’anglais qui a grandi côte à côte avec la langue française ? Eh bien, ce doux accent, elle le possède, elle a la compréhension indulgente et tendre des choses qui lui sont étrangères, mais au fond elle est énergiquement elle-même, si souple, si prompte à tout s’assimiler, qu’elle paraisse à la surface. Son âme est attachée à cette petite église, la plus pauvre, la plus abandonnée des églises protestantes de la Nouvelle-Orléans, qui reste sombre et nue, tandis qu’à la cathédrale s’écrase la multitude des réveillonneurs en cette nuit de Noël célébrée avec un tapage presque carnavalesque ; les cors sonnent par centaines, les pétards éclatent, des bandes de chanteurs nègres glapissent, le long des rues, la bonne nouvelle, en couplets improvisés qu’accompagnent les grincemens de l’accordéon et les facéties des gamins :


Hors de la nuit, — vers la lumière,
Étoile de Bethléem, conduis-nous !
..............
En haut, plus haut, — au ciel et à l’amour,
Christ de Bethléem, conduis-nous, etc.


Ces pieuses invocations en fausset n’empêchent pas les symptômes d’orgie de gronder à travers l’élan prétendu religieux qui emporte une foule bruyante, grisée par le carillon des cloches, par les détonations de la poudre, par les beuglemens des trompes, et aussi par des libations copieuses. Partout on fait bonne chère, on est en liesse, les pauvres eux-mêmes ont cette nuit-là de quoi se réjouir, car tout le monde donne pour la Noël : les clubs, les établissemens industriels, les particuliers s’imposent à l’envie, afin que Santa Claus, le saint Nicolas espagnol, acclimaté en Amérique, porte ses largesses annuelles jusque dans les hôpitaux, les asiles, les autres de la mendicité. Personne ne doit se coucher avant le jour et, du soir au matin, un flot de lumière électrique éclaire la splendeur des boutiques, le tumulte de cette kermesse pittoresque à laquelle prennent part toutes les nations réunies, blanches, noires, jaunes, où retentissent toutes les langues comme en une Babel et où les loques les plus sordides frôlent familièrement