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paix d’un tel ménage, soit ou non troublée, puis rétablie. Sujet aussi mince que désagréable ; pas d’action, presque pas de mouvement ; on piétine sur place, et la place n’est pas propre. Encore une fois il est odieux, ce trio, plus odieux que partout où jamais encore on l’a vu. Que nous parle-t-on de la Petite Marquise, où la fantaisie, la légèreté de la main, le sourire, où tout enfin enlevait un sujet que tout alourdit ici ! C’était la mousse, et non l’écume ou la lie. Amoureuse même, de scabreuse mémoire, pouvait alléguer, pour son excuse ou sa défense, l’amertume et l’âpreté de son dénoûment.

Rien de semblable en cette pénible comédie. Après l’avoir entendue, reprenez les romans et les nouvelles du maître. Oh ! que Boule-de-Suif alors, et la Maison Tellier, vous paraîtront plus vraies, plus touchantes, pour un rien j’allais écrire plus pures ! Auprès de Madeleine de Salus, cette perverse poupée, Michèle de Burne elle-même, l’héroïne de Notre cœur, vous ravira par sa loyauté ; je crains seulement que vous ne soyez plus sensibles encore aux charmes naturels, et rien que naturels, d’une petite servante qui prend à son compte la dernière partie du roman. Là, vous retrouverez le Maupassant véritable. Mais si vous voulez monter plus haut, et de plus haut juger et condamner la Paix du ménage, alors ce n’est plus à Maupassant qu’il faut revenir, c’est au grand mort d’hier, à ce pur esprit qui fut aussi un esprit pur, à l’auteur de la Philosophie de l’art, à Taine. Il vous dira, lui, que vous ne suspecterez pas d’idéalisme conventionnel ou de scrupule bourgeois, il vous dira que l’échelle des valeurs littéraires ou artistiques correspond à une échelle des valeurs morales. Il vous dira qu’une œuvre a d’autant plus de mérite, qu’elle manifeste un caractère d’abord plus considérable, ensuite plus bienfaisant. Or, que le caractère manifesté par la comédie de Maupassant, autrement dit le sujet de cette comédie, soit considérable, déjà cela peut faire doute ; mais qu’il soit bienfaisant, il y aurait de l’audace à le soutenir.

Mlle Bartet, MM. Worms et Lebargy ont merveilleusement exécuté ce difficile et désagréable trio. Mlle Bartet, surtout, a joué le premier violon avec la franchise, l’aisance et la finesse d’une impeccable virtuose.

Et voici déjà que nous n’avons plus rien à dire, ou presque rien. Une page d’amour, à l’Odéon, ne mérite guère qu’on s’y arrête. Ce n’est qu’un mélodrame extrait d’un roman, et l’on ose à peine répéter encore, pour l’avoir déjà trop répété, combien cette extraction est chose insupportable. Il s’agit ici d’une jeune veuve, Mme Hélène Grandjean, et de ses tristes amours avec le docteur Deberle. Le propre du roman, si j’ose m’exprimer ainsi, était de mêler à ces amours, d’en faire souffrir et mourir la petite fille d’Hélène, une enfant précoce, maladive de cœur et d’esprit, sensible, nerveuse et jalouse. Le théâtre, comme