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périls auxquels on venait d’échapper et ceux qui pouvaient renaître encore, tous ces événemens qui se pressaient, qui pesaient sur une opinion ébranlée. Le mot de la situation était dans ce que disait le père Lacordaire, qui s’était laissé fourvoyer dans l’assemblée et qui, entre ces crises violentes, avait pris le parti de se retirer de tout : — « Ma bonne foi dans l’avenir républicain de la France est détruite, disait-il à M. de Falloux, et sans foi je ne puis ni parler ni agir. L’anarchie républicaine ramènera forcément les compétitions monarchiques. Dès lors, la politique pénétrera dans une sphère où je n’ai pas, où je ne veux pas avoir mes entrées… » — On n’en était pas encore là, on y marchait à grands pas ; on entrait dans une singulière phase d’indécision et de transition.


II

D’un côté, les conservateurs, légitimistes, orléanistes, catholiques, parlementaires, les conservateurs, qui n’étaient qu’une minorité, mais qui avaient la supériorité des lumières, des talens, et prenaient une influence croissante, commençaient à se demander si on pouvait laisser la France indéfiniment exposée à de si tragiques expériences. Ils hésitaient à se prononcer cependant. Ils n’avouaient pas des espérances de restauration monarchique qui les auraient aussitôt divisés. Ils restaient des conservateurs dans la république, parce qu’ils ne voyaient « rien de prêt ni de bon à mettre à la place, » disait Tocqueville, — parce que « la famille royale n’était pas réconciliée, » disait M. de Falloux. Et avec les idées de simples conservateurs dans la république, ils se bornaient à suivre les mouvemens de l’opinion, à défendre la paix sociale contre les agitateurs, le gouvernement nouveau, sorti des journées de juin, contre ses propres faiblesses. D’un autre côté, un astre nouveau se levait à l’horizon. Favorisée par l’anarchie des esprits et des faits, gauchement combattue par les pouvoirs éphémères du moment, la cause napoléonienne retrouvait une popularité irrésistible. Le prince Louis Bonaparte, l’échappé de Strasbourg et de Boulogne, devenu subitement le candidat de tous les mécontentemens, de toutes les inquiétudes, de toutes les désaffections, triomphait dans une série de scrutins, non par lui-même, mais par son nom, — le seul que le peuple eût appris et retenu depuis trente ans. C’était comme une traînée de poudre dans un pays saturé des souvenirs de l’Empire.

Au milieu de ces confusions et de ces contradictions, si la