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février, entrait comme président du conseil avec M. de Malleville, M. Drouyn de Lhuys, M. Léon Faucher, M. Bixio, — et dans ce ministère, à défaut des grands chefs conservateurs, un des premiers appelés était, selon le mot de M. Barrot, « un jeune député de la droite qui joignait à des convictions catholiques très prononcées des sentimens libéraux incontestés, » — M. de Falloux lui-même : c’était le premier acte de la présidence nouvelle !


III

Ministre de la république sous un Napoléon, cela pouvait ressembler à un rêve pour M. de Falloux, qui n’avait pas même voté pour le prince, à la vérité, il n’avait pas accepté du premier coup. Il avait fait une belle défense dont il a raconté l’histoire, en y mettant peut-être un peu d’imagination. Il avait été assiégé et conquis de vive force ! Il avait résisté d’abord à M. Odilon Barrot, qui le traitait un peu comme un jeune homme, et au président lui-même qui, sur un premier refus, lui avait dit : « J’espère que ce ne sera pas votre dernier mot ! » Mais ce n’était rien… Il avait résisté à ses amis, à Berryer comme à Montalembert ; il avait résisté au père de Ravignan et à M. Molé, qui lui en témoignait son déplaisir avec une politesse un peu hautaine. Il avait pourtant fini par capituler entre les mains de l’abbé Du pan-loup, qui était allé le chercher jusque dans le salon de Mme Swetchine, où il avait cru trouver un refuge contre toutes les obsessions. Il avait rendu les armes devant le prêtre dont il allait faire peu après l’évêque d’Orléans ; il s’était laissé conduire chez M. Thiers, qui, à son tour, se hâtait de porter son acceptation à l’Elysée, et c’est ainsi que, revenant chez lui, il pouvait dire à un vieux serviteur vendéen qui l’accompagnait partout : « Eh bien, mon pauvre Marquet, tu vas donc entrer au ministère : qui se serait attendu à cela ? — Pas moi certainement, répliquait le fidèle Marquet. Puisque monsieur le fait, je suis sûr que c’est pour le bien ; il faudra se résigner ! » L’histoire est amusante, et pour la couronner, par un contraste de plus, le lendemain, en entrant dans son cabinet de l’instruction publique, en prenant possession du vieux fauteuil de Fontanes qui existait encore, mais qui a dû s’user avec bien d’autres choses, le nouveau ministre trouvait sur la table un grand portefeuille de maroquin rouge avec ces simples mots : « De la part de M. de Persigny, souvenir de Londres ! » Singulier jeu de la fortune ! Une parole que, treize ans auparavant, M. de Persigny avait jetée au courant d’une conversation familière, dans une auberge de Londres, que M. de Falloux avait reçue en riant comme un propos léger, comme la jactance d’un jeune