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préparer ou à prédire la fin prochaine. Ce malheureux régime, on ne parlait pas de le faire vivre, on ne lui parlait que de sa mort !

Les républicains eux-mêmes étaient les premiers à conspirer la ruine de la république par leurs imprévoyances ou par leurs excès. Ils avaient commis l’irréparable faute de voter une constitution incohérente avec une assemblée unique, et de faire élire le président par le suffrage universel ébloui d’un nom populaire. Ils avaient, comme le leur disait Montalembert, « enfermé les deux pouvoirs dans une cage, dont la clé, rejetée au loin, ne pourrait plus se retrouver avant quatre ans. » Ils avaient condamné ces deux pouvoirs à se dévorer, — et maintenant ils se révoltaient contre leur œuvre, contre la fatalité qu’ils avaient créée ! Au lieu de former du moins une opposition légale, sérieuse, qui aurait pu limiter le mal, ils s’étaient jetés dans les violences, dans les complots, dans la sédition au 29 janvier, au 13 juin. Ils avaient mérité que le général Cavaignac, dans sa loyauté, leur adressât en pleine assemblée cette sanglante apostrophe : « Si vous n’êtes pas parvenus à m’inspirer un sentiment de terreur, vous m’avez inspiré un sentiment de douleur, oui, de profonde douleur… Entre vous et nous, c’est à qui sert le mieux la république, n’est-ce pas ? Eh bien ! ma douleur, c’est que vous la servez bien mal. J’espère, pour le bonheur du pays, qu’elle n’est pas destinée à périr ; mais si nous étions condamnés à une pareille douleur, rappelez-vous bien que nous en accuserions vos exagérations et vos fureurs ! » Mais les républicains modérés comme le général Cavaignac avaient presque disparu ou ils n’étaient pas écoutés. Il n’y avait plus que des républicains socialistes, « montagnards, » qui passaient leur temps à enflammer les passions, à provoquer les représailles de la majorité conservatrice par leurs menaces, par leurs défis ou par leurs élections de démagogues, à effrayer le pays de cette date fatidique de 1852, au risque de donner la tentation de la supprimer ; ou bien, par une autre tactique, ils se tournaient vers l’hôte de l’Elysée, qu’ils essayaient gauchement de flatter, d’intéresser à leur cause en lui offrant leur appui. La haine du royalisme les rejetait vers le napoléonisme ! Ils faisaient ainsi les affaires du prétendant de l’Elysée ; ils ne faisaient pas sûrement les affaires de la république.

Au camp conservateur, on ne croyait plus à la république, on tenait l’expérience pour décisive, sans entrevoir encore un dénoûment. Les chefs conservateurs, qui s’étaient associés à l’élection du 10 décembre, n’avaient vu dans cette énergique et irrésistible poussée populaire qu’un réveil des instincts monarchiques du pays ; ils n’en avaient calculé ni la force ni la direction, pas plus qu’ils ne se faisaient une idée juste du caractère du prince, objet