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que la révolution s’était faite parce qu’on l’avait laissé faire ! — Et Berryer, à son tour, racontait les perplexités du roi. Il montrait ce prince aimable et loyal, ayant les qualités comme les défauts de son éducation et de sa génération, bien intentionné de cœur, sans mauvais dessein contre les institutions. Le mal était venu de la chute du ministère Martignac qui avait troublé le roi, des nouveaux ministres qui, au dernier moment, par un faux point d’honneur, avaient offert leur tête au lieu de donner un bon conseil, — et surtout du prince de Polignac. Ici ce que disait Berryer avait, au moins alors, la valeur d’une révélation. Le prince de Polignac était un illuminé, un « visionnaire » dans toute l’acception du mot. « Il se croyait en communication surnaturelle avec le ciel ! » Il se croyait « assisté par Dieu ! » Berryer lui-même en avait reçu l’aveu dans une audience et s’était retiré épouvanté, pressentant la crise où la royauté allait sombrer. — On échangeait ainsi des souvenirs et des impressions jusque bien avant dans la nuit. Et, dès le lendemain matin, M. de Falloux, qui poursuivait toujours son idée, abordait M. Thiers en lui disant : « Vous nous avez montré, vous et M. Berryer, que la révolution de juillet avait été un terrible malentendu : M. Berryer que Charles X n’avait pas voulu sciemment porter la main sur les libertés publiques ; vous, que M. le duc d’Orléans s’était résigné à la couronne plus qu’il ne l’avait souhaitée. Eh bien, la France doit-elle demeurer à jamais la victime de telles méprises ? » Voilà la fusion !

Le malheur est que cette idée, en apparence si simple, née d’une expérience amère, l’expérience de deux défaites, était plus aisée à concevoir qu’à réaliser et ne pouvait être provisoirement qu’assez platonique. Ce qu’il y avait de difficile, c’était de vaincre la nature des choses, d’effacer les traces d’une longue et douloureuse rupture, de refaire une monarchie vivante avec deux monarchies détruites. Ce n’était pas impossible avec beaucoup de bonne volonté, c’était aussi délicat que difficile. Les princes, quel que fût leur désir de se prêter à tout ce qui pourrait reconstituer la vieille maison royale dans son unité, se sentaient retenus par des liens intimes ; ils avaient des souvenirs, des traditions, tout un passé de famille, le respect du règne de leur père, la fierté de leurs services. S’ils n’avaient pas des « droits, » selon le mot qu’on prêtait à la duchesse d’Orléans, ils avaient des « titres. » Toutes les négociations qui avaient paru s’engager et qui se renouvelaient de temps à autre restaient à peu près sans résultat. Ce n’est pas que M. le comte de Chambord, de son côté, fût insensible aux douceurs et à l’intérêt d’un rapprochement de famille. Il avait exprimé les sentimens les plus affectueux à M. le duc de Nemours,