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jetait le désarroi dans le monde royaliste, qui voyait tout perdu et se hâtait de se replier en désordre vers cette combinaison de miséricorde qui s’est appelée la prorogation des pouvoirs ou le « septennat de M. le maréchal de Mac-Mahon. » C’était en d’autres termes la république indéfiniment prorogée. Le « roi » lui-même ne s’était pas rendu compte de l’effet foudroyant de sa lettre. On raconte que, tout étonné et un peu irrité, il s’était rendu mystérieusement à Versailles, ne pouvant croire encore à la défection de ses amis, qu’il était allé attendre le soir, dans la cour du palais, au pied de la statue de Louis XIV, le résultat du scrutin de l’assemblée sur le « septennat. » Quand on vint lui annoncer le vote, il se retira silencieusement, le cœur dévoré de tristesse. Dès le lendemain, sans voir personne, il reprenait le chemin de Paris et de l’exil où il devait mourir. Et c’est ainsi que s’évanouissait encore une fois cette vision de restauration monarchique, toujours fuyante en 1873 comme en 1871 !


VII

C’est, dit-on, la faute du prince qui a refusé la fortune quand elle se présentait à lui, qui a manqué à sa destinée et à ses amis en 1873 comme en 1871. Eh ! sans doute, ce prince de l’exil était plus naïf qu’habile ; il n’avait pas du moins cette habileté apparente qui sait traiter avec les circonstances et ne cherche que le succès du moment. Il ne voulait voir ni la situation telle qu’elle était, ni la France telle que les révolutions l’ont faite. Il vivait dans son rêve, dans son passé, dans sa « tour d’ivoire, » avec sa foi, ses cultes et ses idées de royauté traditionnelle, de « politique sacrée. » Il avait laissé passer l’occasion ! — Qui pourrait dire cependant qu’il n’était pas, qu’il n’est pas resté jusqu’au bout dans son vrai rôle de dernier héritier d’une des plus vieilles races du monde, d’une tradition séculaire ? Que demandait-on, en définitive, à M. le comte de Chambord ? Il faut sortir des polémiques du temps : on lui demandait à lui représentant de l’ancienne monarchie, à lui, qui, selon le mot de Berryer, ne pouvait être en France que le « roi » ou un grand exilé, on lui demandait d’oublier tout et de s’oublier lui-même, de reprendre une autre tradition, d’accepter, comme il le disait, d’être « le roi légitime de la révolution ; » on lui demandait, c’est encore son expression, « d’inaugurer un règne réparateur par un acte de faiblesse. » II répondait que « le droit héréditaire » qu’il représentait n’était pas un objet de transaction, qu’avec son principe il pouvait tout, que « sans son principe, il