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trente ans au plus, « faute de possesseurs, » reviendront au domaine. Dans le sud-ouest, en Dauphiné, de vastes superficies, abandonnées aux manans par les seigneurs, en 1354, ne seront défrichées qu’en 1583 et en 1638.

Dès le règne de Louis XII pourtant, le pic et la charrue commençaient à revenir sur les terres qu’ils avaient longtemps délaissées ; ils s’en appropriaient même de nouvelles, et les droits qui sommeillaient, indifférons ou indécis, éprouvent alors le besoin de s’affirmer. D’une transaction entre un suzerain et ses vassaux, en 1510, il résulte « qu’à l’avenir les habitans ne pourront défricher les bois et lieux vacans, » comme ils le faisaient auparavant, mais seulement « cultiver les endroits déjà rompus. »

Quand, en pleine Touraine, le domaine de Chenonceau, offert plus tard par Henri II à « Mme Diane, » pour « ses agréables plaisirs et services, » fut acheté par le maître des comptes Thomas Bohier (1496), sur quatre fermes il y en avait deux, disait le procès-verbal d’estimation, « qui ne sont à présent de nulle valeur, » en chacune desquelles « on pourrait faire métairie à dix bœufs. » Trente ans après, une pareille négligence eût été tout exceptionnelle.

Rabelais nous fournit, sans y songer, la preuve que le déboisement des régions du centre et du nord-est était déjà très avancé à l’époque où il écrivait : « Quand Gargantua mena sa grand’jument dedans les forêts de Champagne, les mouches se prirent à la piquer au cul. Alors la jument, qui avait 200 brasses (380 mètres) de long, et grosse à l’avenant, se prit à émoucher ; et alors vous eussiez vu ces gros chênes tomber comme grêle ; tant il y a qu’il n’y demeura arbre debout que tout ne fût rué par terre. Et autant en fit en la Beauce, car à présent (1533) n’y a nul bois… » À cette même date, la forêt d’Orléans, qui jadis avait eu 60,000 hectares, n’en couvrait déjà plus que 20,000. De tous côtés on signale de semblables diminutions du domaine boisé, ou même des effacemens complets, comme celui de la forêt de Faye, en Saintonge. D’une enquête faite en 1545, dans la paroisse d’Auzon (Yonne), il ressort que, « depuis quarante ans, on a commencé à labourer certains terrains qui, de mémoire d’homme, ne l’avaient jamais été ; » 440 arpens, « jadis en forêts de haute futaie et repaires de bêtes fauves, » venaient d’être ainsi défrichés dans une seule localité.

Cependant les progrès agricoles ayant dépassé, dans la première partie du règne de François Ier, les progrès de la population, et, par suite, les produits de la terre se trouvant plus offerts que demandés, l’avilissement des prix qui en résulta ne put manquer