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Boucé (Orne), l’habitude, depuis vingt-six ans, de semer du trèfle avec l’avoine pour l’année suivante. » Dans la Manche, en 1750, on signale le trèfle violet (la trémaine) comme « un fruit connu de nos cultivateurs depuis quelques années. » Le succès des graines fourragères ne fut pas le même partout ; en Languedoc, elles ne réussirent pas. En Gascogne, au moment de la Révolution, on fait si peu de cas de la luzerne « qu’on ne l’emploie que pour les litières des animaux. » Le public, qui considérait la vaine pâture, la « banalité, » comme de droit commun pour tout ce qui n’était pas céréales, respectait peu ces prés artificiels. Il se rebiffait contre cette nouvelle conquête, ou du moins contre cette forme plus étroite de la propriété individuelle. Il faut un édit spécial, en 1776, pour autoriser la « renclôture » des prés, et ce n’est pas pour les propriétaires une dépense de luxe ; car les passans, disent les règlemens de police, « s’immiscent journellement à frayer des chemins, tant à pied qu’à cheval et avec voitures, » dans les terres ensemencées en sainfoin.

De 1740 à 1790, les autres branches de l’agronomie furent l’objet de soins analogues : on s’applique à améliorer les races de bétail, à prévenir ou à enrayer les épizooties périodiques qui ravageaient les bergeries et les étables, à paralyser les fléaux multiples qui anéantissaient trop souvent les récoltes et en face desquels les âges antérieurs demeuraient désarmés.

Notre ambassadeur à Londres, le comte de Broglie, avait, dès 1728, envoyé des dépêches détaillées sur les soins donnés aux troupeaux en Angleterre ; le gouvernement se proposait pour améliorer la race de ce qu’on nommait les « bêtes à laine, » — parce qu’en effet la laine était alors ce qu’elles avaient de plus précieux, — d’établir des bergeries nationales peuplées, dans le nord de la France, d’animaux du Lincolnshire, et, dans le Midi, de brebis et de béliers espagnols. Quelques particuliers en avaient déjà fait venir à leurs frais. Mal logés et mal entretenus, brebis et moutons étaient facilement la proie des maladies ; la pourriture décimait périodiquement les troupeaux. On s’avisa enfin d’assigner un cantonnement aux bêtes atteintes de la clavelée. En cas d’épidémie, comme durant la longue peste bovine, qui, de 1772 à 1782, traversa la France en tous sens, on n’hésita pas à faire garder les zones contaminées par de doubles cordons de troupes, tout en prescrivant d’énergiques mesures d’hygiène.

Peu à peu le côté scientifique de l’industrie agricole se fit jour ; et, à travers bien des essais, bien des mécomptes aussi et des désastres, — ces guerres à la routine eurent leurs victimes et leurs vaincus, — les novateurs tracèrent des voies nouvelles, accrurent les chances de gain, atténuèrent les causes de perte.