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II

L’auteur de la XXe idylle est un imitateur de Théocrite. Hérondas, qui n’est venu qu’une vingtaine d’années après celui-ci et qui appartient ou se rattache à l’école de Cos, subit son influence et l’imite aussi ; mais il y a chez lui un parti-pris plus décidé d’innover ; il veut faire quelque chose de très différent. La part de l’imagination était grande chez Théocrite : ce peintre de la nature aimait à rendre les grandes ou gracieuses impressions de la campagne, du ciel et de la mer ; dans les mimes proprement dits, ses simples esquisses de l’âme humaine donnaient de préférence l’image touchante de la passion ou la reproduction délicate et spirituelle de l’âme humaine. Hérondas est ce qu’on appellerait aujourd’hui un réaliste ; c’est franchement la réalité vulgaire qu’il veut mettre sous les yeux.

Et d’abord, il choisit un instrument expressif, approprié au genre d’effet qu’il recherche. Au lieu de l’hexamètre dactylique de Théocrite, auquel une construction et des coupes particulières donnaient son harmonie musicale, mais qui se pliait comme notre alexandrin à l’expression de la grâce et de la grandeur, il va reprendre le mètre que le vieux poète Hipponax avait façonné pour ses satires, le choliambe, c’est-à-dire l’ïambe boiteux. La tradition rapporte qu’Hipponax était laid et contrefait ; on a supposé qu’elle avait fait de sa personne comme un symbole vivant de son vers, dont la chute lourde, rompant brusquement la vive allure du mètre, surprenait désagréablement l’oreille. Cette laideur intentionnelle était pour des Grecs, si familiarisés par leur riche poésie lyrique avec les délicatesses de ce genre, un puissant moyen d’expression. C’est ce que comprendront sans peine les habiles artistes qui mettent en œuvre aujourd’hui les ressources beaucoup plus bornées de notre versification française. Quant aux sujets traités par Hérondas, ils ne se prêtaient pas aux violences d’Hipponax. C’étaient, comme paraissent l’avoir été ceux de Sophron, des représentations de la vie sans aucune recherche de l’extraordinaire. La vie de tous les jours, ses côtés communs, ou grossiers, ou ridicules, sans que la peinture soit forcée ni même poussée jusqu’aux dernières limites ; non plus la passion, mais le vice avec les industries qui s’y rattachent : voilà le champ où il s’exerce, et ces petits tableaux de genre, assez analogues à ce que seront beaucoup d’œuvres de la peinture hollandaise, ont encore de quoi plaire. S’ils ne causent pas de vives émotions, ils peuvent amuser par le piquant des détails de mœurs et par la saveur des expressions. On les a appelés, non pas simplement des mimes, mais des mimïambes, d’un nom