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terroir : ce serait de construire un elevated, sorte d’ascenseur oblique qui plongerait vers le pied de la cascade et pénétrerait dans ces basses régions inexplorées. N’en doutez pas : avant une dizaine d’années il sera fait, sur le modèle de celui qui descend le long de la berge du Niagara.


IV

Notre guide, au Cañon, nous raconte des merveilles : « Vous voyez cette chaîne de montagnes, le pic Dunraven, le mont Washburn : de l’autre côté, plus loin, on voit des choses fantastiques, toute une forêt pétrifiée ; tout a été subitement solidifié ; des oiseaux de pierre perchent sur les branches de pierre : un Indien, qui tirait à l’arc, a été saisi, immobilisé dans cette position, qu’il garde éternellement, et tout le pays est ainsi. » Même en faisant la part de l’imagination populaire, il doit y avoir là un phénomène assez étrange, et l’excursion est aussitôt décidée. Je pars avec un ami et Jackson, notre courrier : — « Cocher, pouvez-vous nous conduire ? » — Il nous répond que c’est impossible. Aucune route n’est frayée ; le pays est fort peu connu, fort peu exploré ; il n’y a qu’un homme qui sache le chemin, c’est Jim le trappeur. S’il est dans la contrée, nous pourrons le demander. Nous faisons chercher Jim : il est introuvable. Nous l’attendons comme un messie, personne ne voulant se hasarder sans lui. Enfin, il reparaît. Il avait perdu ses chevaux dans la montagne, et il était parti à leur recherche. C’est un jeune cowboy à l’air déterminé, aux traits anguleux, avec une petite moustache blonde tombante, vêtu de cuir, et mordant de temps en temps dans une tablette de tabac au réglisse que tous les drivers ont en poche. Nous quittons le reste de la troupe, qui rentre directement à l’hôtel de Mammouth. Notre départ fait quelque peu sensation ; nos récens compagnons nous entourent comme si nous allions combattre les Sioux, les Pieds-Noirs et les serpens à sonnette, dont la montagne fourmille, dit-on. Jim va devant. Mon ami et moi, nous suivons. Jackson ferme le cortège, balayant le sol de ses pieds, sur sa bête trop basse pour sa haute stature. L’hôtel n’est déjà plus qu’une cabane au loin ; nous répondons aux signaux que nous font encore les mouchoirs sympathiques de nos amis et amies, et nous disparaissons au galop de nos excellens petits chevaux derrière les roches boisées du premier défilé.

On doit grimper à 3,200 mètres pour franchir le mont Washburn, et c’est une promenade charmante. D’abord, ce sont des prairies où l’herbe, rarement foulée, prend une épaisseur inconnue et forme