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que son revolver a sauté hors de sa fonte. Jim en éprouve une profonde douleur, à laquelle il semble qu’il ne puisse résister, car il nous prie de l’attendre dans la prairie touffue, tandis qu’il retourne sur ses pas pour retrouver l’objet perdu. À cette hauteur, l’air est délicieusement pur ; l’herbe est épaisse et douce comme les lichens de la mer ; les libellules, les grosses sauterelles, les insectes et les oiseaux s’ébattent et chantent, enivrés de soleil. Au bout d’un assez long moment, Jim revient au galop de sa bête, l’air désappointé. Il n’a rien trouvé. Mais Jackson, qui est un philosophe, a son idée ; il nous explique que le dévouement de Jim est intéressé : il est allé chercher le revolver non pour le rapporter, mais pour le mettre dans un trou d’arbre et le retrouver à son retour dans sa cachette. Cet homme sait les mobiles des actions humaines, comme Tacite l’Ancien.

On retrouve, au bas de l’autre versant de Wahsburn, la rivière de la Pierre-Jaune, dont le cañon a contourné le massif des montagnes. Après l’avoir longée quelque temps, nous arrivons aux Tower-Falls.

Les Chutes de la Tour offrent un spectacle sauvage. D’épaisses broussailles encombrent les approches. Nous laissons nos chevaux au piquet et nous pénétrons dans le fourré. Il y faut briser les branches, grimper aux arbres, ramper sous les hautes racines, se frayer comme on peut un chemin dans la forêt vierge. Le mugissement de la cascade semble prendre plus de sonorité dans la demi-obscurité de ces voûtes, où le lit du fleuve ménage seul une éclaircie vers le ciel. Les bords sont escarpés, peu sûrs, avec des entablemens en ressaut, des corniches avancées qui ont sous elles le vide. Les troncs des arbres, qui ont poussé de biais pour apercevoir un coin de ciel, sont le terrain le plus solide, et il faut s’y allonger en embrassant les branches. De cet observatoire aérien, le coup d’œil est splendide. La Yellowstone arrive en une nappe unie à l’entrée d’un col rocheux, qu’elle franchit d’un bond pour retrouver le sol à 60 mètres plus bas. La chute est belle, régulièrement bombée comme une masse de cristal, s’évasant en éventail de l’échappée étroite jusqu’à sa base et rayée d’un arc-en-ciel. Elle est flanquée de hautes roches aux formes fantastiques. Ce sont deux tourelles crénelées qui gardent à droite et à gauche le défilé humide, accrochées solidement aux flancs de la montagne. Plus haut, des flèches, des ogives, des campaniles dressent leur pointe et détachent leur façade grise de vieux portail sur le fond des sapins pressés, sombres comme l’intérieur d’une cathédrale.

Il nous faut gagner un gué assez loin en amont de la cascade pour traverser la rivière agitée par les rapides, qui sont le prélude