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éclatante à M. de Rions. M. de Bonneval, frère d’un des officiers emprisonnés et blessés, cherche à intéresser la sensibilité de l’assemblée[1]. » Les paroles énergiques de Malouet soulevèrent un tel tumulte que, n’ayant pu prononcer ou du moins faire entendre la plus grande partie de son discours, il dut le livrera l’impression[2]. Dès les premiers mots, ce vigoureux esprit met en relief, avec une clairvoyance et une force singulières, les enseignemens que comportaient les faits survenus à Toulon dans la journée du 1er décembre. Pour lui, cette sédition n’est pas un accident isolé, négligeable par cela même : il se rattache à d’autres de même ordre, qui l’éclairent. Malouet y voit le symptôme effrayant d’une tendance anarchique qui met la liberté en péril et qui, si l’on n’y prend pas garde, mène à la pire des tyrannies. Écoutons ces admirables et prophétiques paroles : « Je veux recueillir moins ce que j’ai dit hier que ce que je voulais dire, si des cris affreux ne m’eussent vingt fois interrompu. Que signifient donc ces cris ? Si ce sont des loix, ce n’est pas ainsi qu’on les fait ; si ce sont des menaces, elles s’adressent à celui qui les brave… Après le détail que vous venez d’entendre[3], nous sommes tous fondés à nous demander ce qu’est devenu le gouvernement, l’autorité des loix, sur quel fondement repose la liberté publique, qui commande, enfin, dans cet empire… Les ennemis, les coupables ennemis de la nation persuadent aux ouvriers que c’est à eux de faire la loi ; que tout acte d’autorité est désormais une injustice ; que toute discipline est une insulte aux droits du peuple ; que tout homme constitué en dignité ne peut avoir ni autorité ni dignité ; que la liberté enfin est le droit de tout oser : et voilà le peuple, si facile à séduire, à tromper, qui ignore que tous les désordres, tous les maux de l’anarchie finissent par retomber sur sa tête, qu’il ne peut être un instant tyran sans devenir bientôt esclave, voilà le peuple en fureur et le commandant traîné au cachot. Eh ! messieurs, j’y serais dans cet instant avec lui si j’étais à Toulon, ou les coupables seraient déjà punis… Je suppose qu’une injustice atroce, une violence criminelle eût été commise à Toulon envers des citoyens : eh bien, messieurs, ce serait encore un attentat inouï, un outrage aux loix, à la paix, à la liberté publique, que d’avoir douté de votre justice, d’avoir puni sans mission, sans tribunal, la violence par la violence, d’avoir ému le peuple et de l’avoir constitué juge de ses chefs… Quel sort

  1. Moniteur du 7 décembre 1789. — Séance du soir.
  2. On en trouvera le texte dans une brochure intitulée : Compte-rendu au ministre de l’affaire de Toulon, suivi de l’opinion de M. Malouet, à Paris, chez Baudouin, imprimeur de l’assemblée nationale, 1789.
  3. Malouet fait ici allusion au rapport adressé par M. de La Roque-Dourdan au ministre sur la sédition du 1er décembre, dont lecture avait été donnée à l’assemblée.