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l’église, le long de la rue Saint-Jacques, il y avait une promenade avec des allées bordées d’arbres. Elle existait encore en partie il y a quelque trente ans. Mais les laboratoires, — c’est-à-dire ce qu’il y a au monde de plus envahissant, — l’ont peu à peu amoindrie, puis tout à fait supprimée. C’est grand dommage, car cette promenade représentait le côté riant de la Sorbonne ; nous n’en avons plus que le côté sévère. Pour la voir comme elle était, il faut y rétablir, par la pensée, ces allées ombragées, avec les groupes des docteurs, qui venaient y prendre le Irais et causer gaîment ensemble. Ils y faisaient bien autre chose, si l’on en croit l’abbé Morellet. « Je me souviens, dit-il, qu’à la fin de notre licence, plusieurs d’entre nous partant pour aller à leurs diverses destinations dans la carrière ecclésiastique, nous dînâmes chez l’abbé de Brienne, et que nous nous donnâmes rendez-vous en Sorbonne, en l’an 1800, pour jouer une partie de balle derrière l’église, comme nous faisions souvent après le dîner. Cette partie serait sans doute moins nombreuse ; car de quatorze ou quinze que nous étions en 1750, la plupart ne sont plus. Elle ne serait pas non plus jouée fort lestement, puisque j’aurais alors soixante-quatorze ans sonnés. Mais un autre obstacle qu’aucun de nous ne prévoyait aurait rompu notre partie de balle : la Sorbonne n’existe plus[1]. »

L’église de la Sorbonne ne fut achevée qu’après tout le reste. Le cardinal avait voulu qu’avec son dôme et ses deux façades, l’une sur la rue, l’autre, plus ornée, sur la cour d’honneur, elle fût de beaucoup la partie la plus magnifique de l’édifice. Il la destinait à contenir sa tombe. Pour qu’elle eût une perspective, il fit jeter à bas vingt-cinq maisons et construisit une place en face d’elle. À la suite de cette place une rue fut percée, à laquelle on donna son nom, et qui mettait la Sorbonne en communication avec la rue de la Harpe. Toutes ces démolitions et ces reconstructions, comme on le pense bien, coûtèrent très cher. M. Gréard évalue les dépenses à plus de 5 millions de notre monnaie.

Dans cette belle maison, que Richelieu lui avait bâtie à si grands irais, les destinées de la Sorbonne n’ont pas été tout à fait aussi glorieuses que dans l’ancienne, et il me semble qu’elle a dû plus d’une fois regretter les masures de Robert. Son temps était passé ; le siècle prenait de plus en plus des routes différentes et qui l’éloignaient d’elle. Quoiqu’elle ne fût pas tout à fait ennemie du progrès, embarrassée dans ses traditions et ses souvenirs, elle ne

  1. Le bon abbé, comme on l’appelait par antiphrase, écrivait ses Mémoires en 1797, six ans après que l’assemblée nationale eut chassé les sorbonnistes de leur maison. Non-seulement il devait voir cette année 1800, où il s’était donné rendez-vous avec ses amis, mais il n’est mort qu’en 1819, à l’âge de quatre-vingt-douze ans.