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de rêver à la fois dynastique et national. Toute l’Italie se couvrait d’affiches ; les compagnies de chemins de fer consentaient un rabais de 70 pour 100 sur le prix des places : il fallait n’avoir pas cinquanta lire devant soi pour ne pas courir à Rome, — et il est si pénible d’avouer qu’on ne les a pas ! Les chemins de fer italiens ne sont pas accoutumés à de pareilles recettes : ce serait par centaines de mille que les curieux ont afflué[1]. Il est vrai que bon nombre d’entre eux ont dû avoir la gratuité complète, car il paraît que plusieurs villes ont été, pour la circonstance, dégarnies, au profit de Rome, de gardes de la sûreté et de carabiniers.

Pourquoi ce déploiement de sbires ? N’avait-on pas déjà la police romaine, les agens allemands qui suivent l’empereur et les Autrichiens spécialement chargés de surveiller les irrédentistes ? Qu’y avait-il à craindre ? N’avait-on pas arrêté, par précaution, les anarchistes et socialistes réputés dangereux ; quarante, une nuit, soixante, l’autre, environ deux cents au total ? Mais les méchantes langues assurent que la police réprime les manifestations, — et les organise, au besoin. L’Italie est le pays de l’enthousiasme spontané et de l’enthousiasme sans épithète. Les sociétés de tout genre y sont si nombreuses : cercles politiques et littéraires, associations ouvrières, provinciales, de quartiers, orphéons, vétérans, compagnons de Garibaldi, condamnés libérés des prisons pontificales, reduci delle patrie battaglie ! Bannières, oriflammes, fanfares ! Sans parler des municipalités rurales de l’Agro romano, ravies de figurer dans un tel apparat. On n’imagine pas à quel point tous et chacun ont rivalisé de zèle, ni combien ni comment ont été stimulés les retardataires ou les récalcitrans[2].

À la Spezzia, par exemple, on a inauguré un nouveau genre de socialisme municipal. La Giunta a loué à Gênes des lampions et des

  1. Une soixantaine de mille seulement, d’après les chiffres des Compagnies.
  2. La note suivante en donnera une idée : « M. R.., délégué municipal du quartier du Borgo, est en train de parcourir les différens magasins de la cité Léonine pour recueillir des offrandes destinées à fêter les noces d’argent des souverains d’Italie. » La plupart des négocians n’osent pas refuser cette contribution, dans la crainte d’une contravention, car ceux qui ne veulent pas se soumettre à cette requête sont inscrits sur un registre portant l’indication officielle S. P. Q. R. (Le Moniteur de Rome.)
    Il convient de remarquer que cet entrefilet est extrait d’un organe hostile. Mais il y a on il y aurait eu autre chose, d’après un autre organe catholique, — de Modène, celui-là :
    « Dans un bureau d’intendance du royaume, qui n’est pas celui de Modène, mais qui n’en est pas éloigné, un employé, touchant sa solde, s’est vu retenir 2 francs. Comme il s’informait du motif, il lui a été répondu que la catégorie à laquelle il appartenait était taxée justement à 2 francs pour concours à la souscription, etc. » (La Voce della verità.)