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l’administration, les colons, un à un, quittèrent leurs jolies maisonnettes : adieu, veau, vache, cochon, couvée ! Perrette venait, une fois encore, de renverser son pot au lait.

Les expériences ultérieures ne firent qu’accentuer la signification de cet échec récent, car si j’examinais l’exode particulier de chacun des électeurs et éligibles qui forment actuellement le fond de la population, je vous montrerais celui-ci attiré en Australie au moment de la fièvre de l’or ; puis bientôt, sans pépites et sans illusions, se réfugiant en Nouvelle-Calédonie ; celui-là, venu à Nouméa en 1871, à la suite de quelques espiègleries politiques ; d’autres encore qui ont des raisons analogues de préférer les pays tropicaux à notre vieille Europe.

Donc, comme je le disais, la colonisation libre est à peu près nulle, et son extension vraisemblablement impossible.

Est-ce à dire que nous soyons, là-bas, voués à l’impuissance, et qu’il faille faire son deuil de voir prospérer un jour la Nouvelle-Calédonie ?

Non pas. Le remède au contraire est des plus simples, et ce remède, — je n’hésite pas à l’affirmer, — c’est le bagne qui, seul, peut le fournir.

En d’autres termes, puisque les émigrans honnêtes et de bonne volonté se mettent en grève, adressons-nous à une autre catégorie de travailleurs, moins recommandables, je le veux bien, mais qui offrent cet incontestable avantage, n’ayant point de syndicat, de ne jamais pouvoir marchander leur concours. L’administration des colonies s’en est fort bien rendu compte lorsqu’elle institua la colonisation pénale. Malheureusement, on a tellement attaqué ses timides essais, on lui a opposé tant de phrases toutes faites, qu’elle s’est arrêtée net, et, découragée, se montra bien près d’abandonner une des œuvres les plus fécondes qu’on puisse entreprendre, une œuvre à la fois moralisatrice et utilitaire, née d’une juste compréhension des doctrines modernes, de la philosophie criminaliste, et capable en même temps de répondre à ces nécessités économiques sans lesquelles un pays ne saurait vivre.

Un séjour de cinq années en Nouvelle-Calédonie m’a fermement convaincu que la régénération du criminel par le travail et la vie de famille n’est pas une de ces idées dont on doive sourire comme de la rêverie généreuse d’un philanthrope maniaque : j’ai eu à ce sujet sous les yeux des résultats nombreux, évidens, et d’autant plus remarquables qu’ils ont été obtenus par des moyens très imparfaits. S’il m’était, malgré tout, resté un doute sur l’excellence de la théorie, ce doute se serait dissipé devant les merveilles réalisées en Australie par l’emploi intelligent des convicts. Il m’a paru que la question est de celles qui doivent retenir l’attention des