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Il ne devra pas seulement, en effet, réussir à éviter les punitions, mais encore, mais surtout, être armé de toutes pièces contre les tentations et les dangers d’une promiscuité pernicieuse.

Sigurd allant délivrer la Walkyrie a moins de luttes à soutenir que le misérable forçat qui s’escrime à traverser l’immonde cohue pour venir s’accouder à la barrière qui le sépare de la société.

Si on savait jusqu’où cette lèpre morale peut atteindre un caractère faible !

Il y a quelques années, la cour d’assises de la Seine condamnait aux travaux forcés un nommé P. de la C.., pour avoir tenté d’incendier le somptueux appartement qu’il occupait dans un des beaux quartiers de Paris.

Ce fut une cause célèbre ; car P. de la C… appartenait à une excellente famille ; c’était un homme intelligent, occupant une belle situation ; très répandu. — Vous avez peut-être comme moi dîné à côté de lui. — On l’envoya en Nouvelle-Calédonie, et maintenant il a terminé sa peine ; je l’y ai vu, je lui ai parlé. Eh bien, cet ancien gentleman, autrefois élégant et correct, est maintenant sale et dépenaillé ; il boit, il vole, il a tous les vices, et passe sa vie en compagnie des libérés les plus abjects.

L’abbé R.., qui fut jadis vicaire-général d’un diocèse et qui a été condamné pour s’être approprié les fonds destinés à quelque œuvre charitable, libéré maintenant, lui aussi, ne pratique plus d’autre culte que celui du « tafia ; » des yeux éteints, enfoncés dans une face glabre, les cheveux gris en désordre, la mine piteuse et louche, tel est aujourd’hui l’ancien chanoine dont on faillit faire un prélat.

On n’a pas tout à fait oublié, sur le boulevard, Mary Cliquet, notaire fashionable et auteur dramatique, politicien et financier : plus d’une jolie pécheresse doit posséder encore, dans un coin d’album, sa photographie, avec dédicace suggestive et conserver au fond de ce qui lui sert de cœur l’image de ce cavalier aimable, spirituel, bien tourné et surtout fort généreux.

Lugete Veneres ! Cliquet, l’année dernière, poussait la brouette, le torse nu, hâlé par le soleil torride, la double chaîne rivée au pied, classé parmi les incorrigibles, couchant sur la dure avec les plus hideux gredins ; et, deux fois par jour, des Canaques le déshabillent, retournent ses poches et vont, de leurs doigts crasseux, chercher s’il n’aurait pas caché dans sa bouche quelque instrument d’évasion ou de meurtre.

Voilà ce que la contagion de la perversité ambiante peut produire sur des individus ayant appartenu à un milieu social élevé ; il me serait facile de multiplier ces tristes exemples ; mais ceux-ci