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gouverneur son pouvoir d’accorder la vie ou de permettre la mort. Toutefois, il a voulu que l’exercice de ce droit régalien fût subordonné à certaines conditions.

Quand un arrêt de mort est prononcé, le conseil privé se réunit et vote sur la question de savoir s’il y a lieu, ou non, de surseoir à l’exécution de la sentence. Que deux membres opinent dans le sens de l’affirmative, et le gouverneur ne peut passer outre : la Parque continuera à dévider jusqu’à nouvel ordre le mauvais fil qu’elle s’apprêtait à couper. Dans le cas d’un vote défavorable au condamné, la liberté de décision du gouverneur reste entière : toutefois, en pratique, c’est réellement le conseil qui décide.


Une exécution capitale au bagne ne ressemble en rien, sinon par le dénoûment, à ce qui se passe, en pareille circonstance, place de la Roquette : la porte de la prison qui s’ouvre, un être hébété qu’on soutient et qu’on pousse rapidement sur la planche sinistre, du sang par terre, puis un fourgon entraîné par des chevaux au galop, tout cela à peine entrevu d’une façon confuse, furtif comme ce qui se cache, causant au spectateur l’angoissante oppression d’un cauchemar et ne laissant après soi d’autre trace qu’un article banal dont les termes ne varient pas. Si « la justice des hommes, — suivant la formule classique des reporters, — est satisfaite, » après avoir accompli cette répugnante besogne, c’est en vérité qu’elle n’est pas difficile et semble avoir totalement oublié que le châtiment suprême a moins pour but de supprimer un individu nuisible, que d’être, pour les criminels à venir, l’énergique commentaire de cet aphorisme : Si tu ne crains Dieu, crains les gendarmes.

En Nouvelle-Calédonie, la méthode de l’échafaud visible seulement pour quelques journalistes ensommeillés serait particulièrement fâcheuse, car il ne s’agit pas là-bas de criminels à venir hypothétiques, mais de coquins ayant fait leurs preuves et gagné leurs grades, gaillards qu’il faut dompter à tout prix.

Couper les têtes qui refusent de s’incliner est un argument si péremptoire, que c’est le dernier, et la société a le devoir strict de ne lui rien ôter de sa valeur toutes les fois qu’elle se décide à l’employer vis-à-vis d’un révolté, entouré lui-même d’autres révoltés.

Voilà pourquoi, lorsqu’on assiste, comme cela m’est arrivé, au supplice d’un forçat, on n’éprouve pas la sensation du déjà vu. Vous décrire en quelques lignes ce tragique et imposant spectacle ne m’expose pas à rééditer un fait divers cent fois publié.

Les exécutions se font toujours à l’île Nou. L’emplacement choisi