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point prêté à leur désir. Comme il le disait à van Baerle, devenu veuf comme lui : « Ce n’était pas une femme qui lui manquait, c’était la sienne. » Il entendait garder pieusement la mémoire de celle qu’il avait tant aimée et à qui, en 1639, « encore tout plein d’un deuil inconsolable, » il dédiait un de ses poèmes, le Dagwerk. Avant tout, il avait besoin de calme et, sans parler des soins qu’exigeait l’éducation de ses enfans, il se sentait assez de ressources en lui-même pour bien employer son temps. Aussi avait-il acheté aux environs de La Haye, près de Voorburg, un domaine, qu’il avait augmenté par l’acquisition de terrains contigus, son cher Hoofwyk, dont il dessinait lui-même le plan des constructions et le tracé des jardins. L’habitation, sans grand caractère, était décorée de ternies et de statues ; mais sa situation au bord de la Vliet et la vue qui s’étendait de là sur les arbres du parc ou sur de riantes campagnes, semées d’autres villas, en rendaient le séjour très agréable à Huygens qui avait peine à s’en arracher.

Ses visites à Muiden étaient donc devenues de moins en moins fréquentes. Quand il y apparaissait, on fêtait sa présence, car on était heureux de le retrouver et parfois aussi de profiter de son influence auprès du prince. Mais le cercle des amis qui l’y attiraient allait toujours se rétrécissant. Parmi ses proches aussi il avait éprouvé bien des pertes et ses fils aînés avaient quitté la maison pour terminer leurs études. Eux partis, il n’avait plus d’autre consolation que sa fille Suzanna qui lui rappelait sa chère femme.

Cependant le prince Frédéric-Henri, dont la santé s’était depuis plusieurs années gravement altérée, s’éteignait au mois de mars 1647 et son secrétaire, en mentionnant avec sa précision accoutumée l’heure de la mort du prince, suppliait Dieu « de prendre son peuple en piété. » D’autres pertes, également sensibles à Huygens, suivaient de près cette mort ; d’abord celle de Hooft qui, déjà malade, avait voulu assister aux obsèques du stathouder et qui succombait quelques jours après à La Haye (27 mai 1647) ; puis celle de van Baerle qui ne devait pas survivre plus de six mois à son ami. Enfin Tesselschade ayant perdu le seul enfant qui lui restât, une fille de seize à dix-sept ans, était elle-même enlevée à l’affection de Huygens au mois de juin 1649.

Constantin retrouva près de Guillaume II et de Guillaume III la situation, un moment ébranlée, qu’il avait occupée auprès de Frédéric-Henri. Avec l’expérience qu’il avait acquise, ses conseils leur étaient de plus en plus nécessaires. En dépit de sa vieillesse, il continua de se consacrer entièrement à leur service. La confiance qu’ils avaient en lui était aussi absolue que légitime et, outre l’expédition des affaires publiques, il avait à surveiller l’administration de leur