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trop fréquentes de l’Aminta, du Pastor fido ou des classiques grecs et latins, qui lui viennent involontairement à l’esprit.

Si goûtées que soient en son pays les poésies de Huygens, nous leur préférons de beaucoup ses écrits en prose hollandaise ou française, comme sa Correspondance et ses Mémoires. Nous avons appris de lui-même quelles étaient ses idées sur le style et le cas qu’il faisait de la simplicité, de la concision, de toutes les qualités qu’il vante dans ce Traité de la Secrétairie dont nous avons cité de nombreux passages. On a pu voir comment il y donnait l’exemple de ces qualités dans un langage ferme, net, sobre et coloré, qui, par la vivacité de ses saillies et le tour très personnel de comparaisons aussi justes qu’inattendues, rappelle celui de Montaigne. Les mots sont toujours pris chez lui dans leur acception la plus forte et son style a cette saveur particulière que les étrangers donnent parfois à notre langue quand ils la savent bien. On pouvait à bon droit s’étonner que ce Batave possédât aussi complètement l’usage et les ressources du français, et Balzac, qui alors faisait autorité, se montre très surpris de rencontrer chez lui, avec cette curiosité des choses de l’esprit, toutes les finesses du bien dire : — « Il faut que vous me juriez, lui écrit-il dans une longue lettre, que vous êtes Hollandais pour me le persuader, et je ne puis croire que sur votre serment une vérité si difficile, car vous écrivez le langage que nous parlons avec autant de grâce que si vous étiez ne dans le Louvre[1]. » De son côté, Mazarin, remerciant Huygens de l’envoi qu’il lui a fait de ses Momenta desultoria, reconnaît « qu’il n’est pas moins homme de belles-lettres que d’affaires et que les fruits de sa méditation ne sont pas moins doux que ceux de son action. » — Mais nous avons pour garant de la valeur littéraire de Huygens un écrivain mieux en mesure de l’apprécier. Descartes, en lui accusant réception de ce même recueil de poésies, admire « qu’un homme aussi occupé, et de choses si sérieuses, ait trouvé le loisir de compositions si agréables et si faciles. » Les relations entre le secrétaire des princes d’Orange et le philosophe devaient, d’ailleurs, être aussi étroites que durables. La première fois qu’il avait vu Huygens, Descartes était resté émerveillé de son savoir, de son intelligence si ouverte et de sa sincérité : — « Véritablement, écrivait-il à la suite de cette entrevue où il lui avait lu une partie de sa Dioptrique, c’est un homme qui est au-delà de toute estime qu’on en sauroit faire et encore que je l’eusse ouy louer à l’extrême par beaucoup de personnes dignes de foy, si est-ce que je n’avois pas encore pu me persuader qu’un même esprit se pût occuper à tant

  1. Dissertation sur l’Herodes infanticida de Heinsius, dédiée à Huygens, par Balzac.