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ont cet avantage qu’ils nous apprennent l’ensemble des mœurs de la société contemporaine. Avantage précieux, soit dit en passant, aujourd’hui que la folie du document infinitésimal envahit toute la littérature. À force d’étudier au microscope l’humanité présente et l’humanité passée, on risque de n’en voir que les microbes et les vibrions ; le moindre détail, le fait divers le plus imperceptible, grossissent outre mesure et prennent les proportions d’un état de mœurs général et permanent.

Avec nos manuels, l’écueil n’est pas à craindre. Ils ne racontent pas d’anecdotes ; les usages qu’ils relatent sont pratiqués universellement et, comme ils prennent soin de nous dire le bien et le mal, ce qu’il faut faire et ne pas faire, on peut être sûr que le tableau est aussi complet que fidèle.

La Civilitas morum puerilium d’Érasme est le prototype du genre. Imprimée à Bâle en 1530, elle est dédiée à Henri de Bourgogne, fils d’Adolphe, prince de Vere. Le livre est bref et substantiel, écrit simplement, sans pédantisme et de bonne humeur, dans ce latin souple, concis, pittoresque, qu’Érasme manie avec une aisance très personnelle. Il comprend sept chapitres : de la Décence et de l’indécence du maintien, du Vêtement, de la Tenue à l’église, des Repas, des Rencontres, du Jeu et du Coucher.

Par son nom, ses relations dans le monde, ses antécédens, — il avait publié de nombreux livres de pédagogie, — par son tempérament même, Érasme était mieux que personne en situation de traiter la matière. C’était un délicat et un raffiné, souffreteux à l’excès et tellement impressionnable que « jusqu’à l’âge de trente ans, il lui suffisait d’entrer dans une chambre inhabitée depuis quelques mois, pour avoir immédiatement la fièvre. » Ses voyages en Angleterre, en Allemagne, en France et en Italie l’avaient mêlé à une société encore incertaine, à peine affranchie de l’indépendance un peu rude et sans gêne du moyen âge ; pour faire son éducation et lui apprendre la politesse, il fallait autre chose que les notions sommaires qui couraient les écoles. Érasme le comprit : à l’âge de soixante-trois ans, retiré à Bâle, il recueillit le peu que l’on avait dit avant lui sur la matière, ce qu’il en avait dit lui-même, le compléta par ses observations personnelles et composa son traité de la civilité.

Le livre arrivait à son heure et devint populaire du jour au lendemain. Traduit en anglais par Robert Whytington (1532), en français par Pierre Saliat (1537), il fut remanié et vulgarisé en France par Mathurin Cordier, sous le titre de Miroir de la jeunesse pour la former à bonnes mœurs et civilité de vie (Poitiers, 1559). Aujourd’hui le Miroir de Mathurin Cordier est introuvable : les écoliers,