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est déraisonnable, » recommandation singulière dans la bouche d’un délicat comme Érasme ; mais quoi, il s’agit d’un enfant, et combien en connaissons-nous qui, livrés à eux-mêmes, n’accompliraient même pas l’ablution matinale exigée par le maître ! Mathurin Cordier, dans ses Colloques (1564), fait dire à peu près la même chose à son élève : « Je lave mes mains, mon visage, mes dents, mes yeux, et principalement le matin. » Louis Vivès nous fait entrer dans tous les détails de l’opération : « Apportez le bassin avec l’esgaière ; versez de haut, vuidez plus tôt peu à peu par le bec de l’esguière, que de verser tout d’un flot. Nettoyez cette crasse qui est aux jointures de vos doits. Lavez votre bouche et gargarisez. Frottez-moi bien les cils des yeux et les paupières ; après, encore bien fort, les petites glandes de dessous les oreilles. Prenez un linge et vous essuyez. O Dieu immortel ! il vous faut tout dire l’un après l’autre ; ne sçauriez-vous rien faire de vous-même. » (Colloquia, 1532.)

Passons maintenant aux grandes personnes. Olivier de Serres, dans son Théâtre d’agriculture, consacre un chapitre à la bonne tenue du gentilhomme campagnard ; j’en extrais quelques passages : « Pour la netteté du cuir. C’est une particularité très requise à la conservation de la santé, que de tenir nettement la personne. Pour laquelle cause, le principal ne sera oublié qui est la personne, se lavant souvent les mains, la bouche, quelquefois la face, avec de l’eau commune, du vin et d’autres liqueurs. Quelquefois le mois, les mains seront lavées avec eau et savon de bonne senteur, ou avec eau distillée de une de pain, ou avec eau et son meslés, adjoustant à ces lavemens-ci quelques eaux odorantes. » La réserve que fait l’auteur au sujet de la face est confirmée par un passage de la civilité de Barthès (1645) : « Ils (les enfans) nettoyèrent leurs faces et leurs yeux avec un linge blanc de lessive ; cela descrasse, et laisse le teint et la couleur dans la constitution naturelle. Se laver avec l’eau nuyt à la veue, engendre des maux de dents et des catarrhes, appalit le visage, et le rend plus susceptible de froid en hiver et de hasle en esté. » Évidemment, ces gens concevaient la propreté autrement que nous ; est-ce à dire qu’ils furent aussi malpropres qu’on le prétend[1] ?

« Ne pas se peigner, dit Érasme, est le fait d’un paysan ; que l’on soit propre, sans être luisant comme une fille ; » et Calviac : « Il faut que tous les matins l’enfant se peigne en menant le

  1. A la vente de Claude Gouffier, faite en 1572, figure le mobilier complet de la chambre à coucher qui renferme, entre autres meubles, « une cuvette d’airain tenant deux seaulx ou environ, garnye de son pied de bois de noyer, » cuvette de dimensions respectables et qui suppose de larges ablutions.