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LA NAVIGATION AÉRIENNE.

la valeur du raisonnement, de remarquer que pour la cigogne, par exemple, dont le poids moyen est d’un peu plus de quatre livres, l’effort prétendu équivaudrait à un peu plus de deux chevaux-vapeur.

Que des hommes, d’une si haute intelligence et d’une science mathématique aussi incontestable, aient pu commettre de pareilles erreurs, la chose en elle-même est assez surprenante. C’est une nouvelle preuve du danger que l’on court en donnant, comme point de départ aux déductions analytiques, des observations insuffisantes et surtout mal faites.

Il n’en est pas moins certain, cependant, que chaque fois où on a tenté de construire une machine volante, on a dû. reconnaître qu’il faudrait y emmagasiner une force motrice considérable. Telle fut l’hélicoptère qui eut un moment de succès à l’époque où Nadar le prit sous son patronage. Avec sa verve éminemment parisienne, cet artiste, doublé d’un écrivain auquel ne faisaient défaut ni l’esprit, ni les mots à l’emporte-pièce, fit au « plus lourd que l’air » une popularité, qui dure encore. Mais en vaui proclama-t-il « le droit au vol : » l’hélicoptère n’en sut pas profiter, et l’appareil ne réussit que tant qu’il resta à l’état de jouet d’enfant.

Cette hélice horizontale, lancée par un ressort brusquement détendu, s’élevait verticalement, planait quelques instans en arrivant à l’extrémité de sa course, et retombait lentement suivant une direction oblique, en glissant en quelque sorte sur l’air. Et là-dessus, Nadar de s’enthousiasmer : « Le ballon, s’écriait-il, est un obstacle à la navigation aérienne ; c’est tout au plus une bouée, un radeau… Pour lutter contre l’air, il faut être spécifiquement plus lourd que l’air. L’héhce mue par la vapeur, tel est l’organe mécanique qui nous promet une conquête vainement poursuivie jusqu’ici. » — Et Babinet, dont véritablement les opinions en matière de locomotion aérienne ne sont pas le plus sûr titre de gloire, insistait par des paroles encourageantes. « Un modèle en grand, disait-il aux partisans du « plus lourd que l’air, » est toujours bien plus avantageux qu’un appareil de faible capacité. Dès qu’on aura enlevé une souris, il sera prouvé a fortiori qu’on enlèvera un éléphant. Ce sera une question de technologie et d’argent, non de science. » — Le malheur est qu’on n’enleva pas la souris et que, bien mesurée, la force nécessaire à la modeste ascension de l’hélicoptère correspondait à un cheval-vapeur pour 15 kilogrammes enlevés. — Des constatations du même genre retirent peut-être beaucoup de leur intérêt d’avenir aux ingénieux appareils construits par M. Brearey en Angleterre, M. Penaud, M. Tatin, en France, à ceux aussi que M. Hureau de Villeneuve a fait voler