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architectural a de tout autres exigences que le Salon ou qu’un musée. Il a donc voulu tenir tous ses personnages, groupés en plein air, dans une tonalité claire, et ce n’est pas la clarté, en effet, qui leur manque ; malheureusement, cette clarté est une clarté sèche, jaunâtre, maussade, et sentant, ce semble, l’atelier plus que le soleil. Une fois en place dans une salle du parlement hongrois, cette grande toile, d’ailleurs bien remplie, reprendra, sans doute, un peu plus de corps. En tout cas, il ne faut pas que cette première impression empêche d’apprécier les grandes qualités d’observateur et de dessinateur que M. Munkacsy a déployées dans cet ouvrage, beaucoup plus peut-être que dans ses compositions antérieures. Ce n’est pas sans efforts qu’on s’élève de la peinture anecdotique à la peinture historique et monumentale. Il faut que les difficultés en soient bien grandes pour qu’un virtuose, habile et expérimenté comme M. Munkacsy, n’ait pas pu les résoudre haut la main et semble y avoir même affaibli, malgré son labeur, une personnalité autrefois plus marquée.

En dehors des deux vastes toiles de MM. Roybet et Munkacsy, l’art décoratif et l’art historique ne se présentent guère que sous la forme d’allégories plastiques ou d’épisodes anecdotiques. La légende du doux Saint François ne s’est point assez rajeunie sous le pinceau sage et froid de M. Joseph Aubert pour faire oublier les chefs-d’œuvre du passé, et le Saint Pancrace de M. Lehoux arrête plus les yeux par la pesanteur vulgaire de ses membres athlétiques que par l’expression de sa ferveur. Les dimensions extraordinaires de ces figures ne sont justifiées ni par la vigueur du style, ni par l’ampleur de l’exécution. On s’étonne, de même, que M. Du Mont ait déroulé une si vaste toile pour nous montrer les dominicains du conseil de Salamanque accueillant, par des moqueries inconvenantes, les propositions de Christophe Colomb. Ce n’est pas que la façon n’en soit habile et qu’il n’y ait de bons morceaux de peinture, dans les visages comme dans les robes, mais presque tous ces visages sont des caricatures, et cette scène grave et douloureuse est comprise comme une comédie burlesque. Quand MM. Vibert, Chevilliard, Frappa et autres innocens farceurs renouvellent quelques antiques plaisanteries sur la sottise des moines, ils n’y mettent pas, du moins, cette solennité. Ce qui est grave doit être traité gravement. La composition dans laquelle l’artiste semble avoir le mieux compris cette obligation fondamentale d’approprier l’allure de son dessin à la dimension de sa toile est le Jésus de M. Danger. Le jeune pensionnaire de Rome prend pour épigraphe ce verset de saint Jean : « Voici son commandement : que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous l’a commandé. » Comment les hommes ont-ils appliqué ce commandement divin ? En se tuant les