Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amis, princes ou chiffonniers, politiques ou savans, se sont toujours réunis pour échanger leurs sentimens ou leurs pensées. La table reste donc, chez nous comme chez les Hollandais, le prétexte le plus facile à grouper des personnages qu’unissent des liens quelconques, de famille, de professions, d’idées. Ce thème offre toujours à un artiste des difficultés séduisantes et nouvelles, tant pour le groupement des figures dans une action naturelle et commune que pour leur bonne installation dans un milieu plus ou moins éclairé et encombré. Bien que Frans Hals et surtout Velasquez aient déjà résolu à cet égard, dans leurs tableaux d’intérieurs, les problèmes les plus ardus, il en reste encore beaucoup d’autres à aborder et à étudier. M. Marcel Baschet a sans nul doute pensé à ces deux maîtres lorsqu’il a peint, après un repas, M. Francisque Sarcey chez sa fille, Mme Brisson ; il pouvait le faire sans danger, car il possède une science personnelle de dessinateur dont il a déjà fourni des preuves ; ce souvenir, sans l’écraser, lui a porté bonheur. La fillette, rose et blanche, j’allais dire, la petite infante, qui regarde, de face, toute naïve et souriante, est d’une fraîcheur vive que le noble Espagnol eût aimée ; le vaillant ouvrier de Harlem aurait, de son côté, applaudi à la bonhomie bourgeoise et joviale du personnage principal, carrément enfoncé dans les flancs profonds d’un large fauteuil, ses mains croisées sur sa canne, car il aurait reconnu, dans cette franche, solide, joyeuse facture du visage haut en couleur, le souvenir de ses bons enseignemens. Peut-être eût-il fallu aux deux maîtres, pour les contenter tout à fait, plus de liaison entre les diverses figures, par une décoloration plus juste et plus nuancée du milieu atmosphérique. Mais M. Baschet qui, depuis quelques années, a tant appris, peut apprendre encore ; la liste de ses bons portraits, femmes et hommes, est déjà longue pour un artiste de son âge, et le morceau, plus complet et plus hardi, qu’il expose, s’y ajoute comme un effort heureux vers un art plus varié et plus puissant. L’autre repas, un déjeuner, une Réunion d’artistes, par M. Léandre, a pour théâtre une salle vitrée, aux fenêtres ouvertes, éclairée par une lumière fraîche et abondante. Une jeune femme, en toilette d’été, s’y mêle aux peintres en veston, devant la nappe blanche couverte de porcelaines et de verreries brillantes, sous la présidence d’un patriarche en houppelande brunâtre. On cause au dessert, les coudes sur la table, tandis que, dans la porte du fond, apparaît une vieille servante, apportant le café. La tonalité générale est d’une harmonie douce et juste. Les figures, de grandeur naturelle, se meuvent avec aisance dans cette atmosphère claire et calme. Les types sont, en général, indiqués avec précision. Il ne faudrait qu’un peu plus d’accent dans le caractère et de solidité dans les formes pour que