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de gens de toutes sortes et parmi lesquels beaucoup auraient dû lui inspirer une juste méfiance. On fut bientôt informé de ce qu’il pensait et, dès lors, ce ne fut plus un mystère dans Paris pour ces gens si nombreux qui sont au courant des nouvelles qui se disent à l’oreille. Ce qui devenait de cette manière presque public dans la capitale ne pouvait manquer d’arriver jusqu’à l’empereur ; il fut donc averti, avant même d’arriver à Madrid, et de plus il apprit, fort peu de jours après, une circonstance qui dut le conduire à de très sérieuses réflexions sur ce qui pouvait se tramer en France pendant son éloignement.

La longue et persévérante division, qui régnait depuis tant d’années entre M. de Talleyrand et le ministre de la police Fouché, venait de cesser tout à coup. Tous deux, apparemment, s’étaient mis à envisager les choses sous le même aspect et s’étaient dit, perdant toute confiance en la fortune de Napoléon, que, s’il venait à manquer, ils étaient seuls en position de disposer de l’empire, et devaient par conséquent en régler la succession suivant leur plus grand avantage. Mais, pour arriver à ce but, il fallait s’entendre, il fallait unir ses moyens d’action et renoncer à une inimitié qui n’était plus de saison. Ils avaient été l’un au-devant de l’autre, et leur rapprochement définitif s’était opéré, si je ne me trompe, par l’entremise de M. d’Hauterive, chef de la division des archives aux affaires étrangères, en sa qualité d’ancien oratorien toujours en bons rapports avec M. Fouché. M. d’Hauterive n’avait sûrement point entrevu la portée de l’œuvre à laquelle il concourait, et avait seulement cédé au besoin, dont il ne savait guère se défendre, de se mêler un peu de toutes choses ; il avait cru faire merveille en contribuant à une pacification qui lui semblait propre à assurer le repos de tout le monde et être très agréable à l’empereur.

Ce qu’il y eut de plus étonnant dans cet accord inattendu, ce fut l’éclat que deux personnes qui auraient dû être si prudentes jugèrent à propos de lui donner. Il fallait ou qu’ils se crussent bien forts par leur union, ou qu’ils se tinssent bien assurés de la perte de l’empereur. Je me souviens encore de l’effet que produisit, à une brillante soirée chez M. de Talleyrand, l’apparition de M. Fouché, le jour où il entra dans ce salon pour la première fois. Personne ne voulait en croire ses yeux, et ce fut bien autre chose, lorsque l’affectation de bonne intelligence alla jusqu’au point de se prendre par le bras, et de se promener ensemble d’appartement en appartement, tant que dura la soirée. Parmi les personnes qui avaient, à Paris, l’œil ouvert sur tout ce qui pouvait intéresser Napoléon, et qui entretenaient avec lui une correspondance suivie, se trouvait un de ses anciens aides-de-camp, M. de La Valette, auquel il avait fait épouser sa nièce, Mlle de Beauharnais, et qu’il avait depuis placé