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l’avait dictée et répondait peu aux idées du siècle[1]. Était-il sage, en effet, de faire entendre au monde nouveau ces téméraires paroles : « Les souverains doivent apprendre encore une fois qu’ils sont soumis, par la loi de Jésus-Christ, à notre trône et à notre commandement, car nous exerçons aussi une souveraineté, mais une souveraineté bien plus noble, à moins qu’il ne faille dire que l’esprit doit céder à la chair, et les choses du ciel à celles de la terre. » Nonobstant cette imprudence, une telle pièce pouvait encore causer beaucoup de trouble dans l’imagination des catholiques zélés, comme dans la conscience des ecclésiastiques qui avaient reçu les nouveaux pouvoirs, dont ils étaient revêtus, du pontife qui leur faisait entendre la voix de sa colère, qui les appelait à seconder sa vengeance. L’entrée de la bulle fut interdite avec le plus grand soin dans toute l’étendue de l’empire français. Mais ce qu’on pouvait empêcher de pénétrer en France, il était difficile d’en arrêter la circulation en Italie, particulièrement dans les États romains oh tant de personnes, tant d’ecclésiastiques surtout, devaient s’y employer.

La fulmination pontificale fut donc assez promptement connue non-seulement à Rome, mais dans les provinces environnantes et jusque dans le royaume de Naples. La fermentation qu’elle causa ne tarda pas à prendre un caractère qui fut jugé très inquiétant par le nouveau roi de Naples, Murat, et par les autorités françaises préposées au gouvernement de l’État romain. Celles-ci se décidèrent, sans avoir reçu à cet égard aucune instruction de l’empereur, à enlever le pape de son palais et à le jeter dans une voiture qui, sous l’escorte de quelques gendarmes, le transporta avec la plus grande rapidité, en traversant les Alpes, jusqu’à Grenoble où il fut déposé. du général Radet, commandant la gendarmerie, fut le principal agent de cette expédition. Il fit même la route sur le siège de la voiture. Le général Miollis commandait en chef les troupes françaises à Rome ; c’était un homme d’un caractère doux, timide même. Je n’ai jamais pu m’expliquer comment un semblable coup (car il est impossible de qualifier autrement cette violation des droits les plus sacrés du caractère le plus vénérable) avait pu être exécuté sous sa direction et avec son concours.

Quoi qu’on ait pu me dire, et malgré la créance qui semble due

  1. Cette circonstance, que personne n’était nommé dans la bulle, était très importante, parce que, pour en faire l’application à tel ou tel, à l’empereur lui-même, il fallait un nouvel acte de la puissance ecclésiastique, et que cet acte pouvait être ou suspendu ou arrêté par une foule de circonstances. On pouvait donc dire, après la bulle fulminée, que Napoléon avait encouru l’excommunication, mais non qu’elle l’eût encore frappé.