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Heureusement, la France n’en fut pas émue ; elle entendit, mais elle comprit et elle sourit presque, tout en suivant de l’œil les fils au bout desquels dansait l’épouvantail. Cependant, la Russie se hâtait davantage et massait des troupes en Pologne ; l’Autriche appelait d’avance le contingent, et l’on parlait de réunir les délégations pour obtenir d’elles un supplément de crédits militaires ; la Belgique poussait fiévreusement les fortifications de la Meuse. Tout cela, pour que le prochain Reichstag allemand fût plus docile que l’ancien aux desseins de M. de Bismarck. L’urne électorale était l’antre d’où se déchaînait ce furieux ouragan. En Allemagne même, il fit beaucoup de ravages ou du moins beaucoup de bruit. Le prince saisit d’une main les conservateurs, de l’autre les nationaux-libéraux, les contraignit à s’embrasser, flattant ceux-ci, gourmandant ceux-là, déracinant les vieux partis, les transplantant, comme on change de terre un arbuste qui a épuisé tous les sucs du petit coin où il vivait.

S’il le fallait, il se faisait câlin et pastoral : à ses pipeaux, MM. de Bennigsen et Miquel étaient accourus. Il essayait aussi sur le centre catholique le charme des inflexions caressantes. Les deux lettres du cardinal Jacobini, alors secrétaire d’État de Léon XIII, à Mgr Aloïsi Masella, nonce apostolique à Munich, semblaient n’avoir pas triomphé des hésitations du centre. Le chancelier ne rougissait pas d’être allé à Canossa, encore qu’il eût juré de n’en jamais connaître le chemin, mais il entendait n’y pas être allé vainement. Il s’indignait de voir si rétifs aux invitations venues de Rome, M. Windthorst et ses amis. Eh quoi ! c’était ainsi que ces fils soi-disant pieux écoutaient les conseils du saint-père ! M. de Bismarck était maintenant plus catholique que le centre. Le souvenir tout frais du Kulturkampf ne l’embarrassait nullement. Pour les besoins de sa cause d’aujourd’hui, il tenait, prompt aux volte-face, un langage contraire à celui qu’il avait tenu pour les besoins de sa cause d’hier.

La presse était peuplée de théologiens, dûment stylés à la Minerve de la Wilhemstrasse, qui enseignaient au centre ses devoirs. Quelques pointes de feu, au moment opportun, et quelques traits de corde enfonçaient dans les chairs ces exhortations. Tantôt le charbon ardent, tantôt l’huile ; tantôt suaviter, tantôt fortiter in modo, mais toujours fortiter in re ; six semaines durant, M. de Bismarck pétrit et tritura sa pâte. Les élections eurent lieu à la date choisie. Le premier tour donna 193 partisans du septennat, contre 139 adversaires ; il y avait soixante ballottages : au second tour, les progressistes et les socialistes purent regagner quelques sièges, mais, en somme, l’opposition était battue, et, dès lors, une majorité imposante était acquise au septennat. Le nouveau Reichstag se composait pour les deux tiers de nationaux-libéraux et de conservateurs, hommes-liges du chancelier, qui l’auraient suivi dans le gouffre ; le centre gardait, ou à peu