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Non, M. de Caprivi ne voulait pas dire où le gouvernement impérial en viendrait et personne ne pouvait croire, le prince de Bismarck n’étant plus là, que ce serait où il en est venu. Ce n’est qu’à son dernier jour que le Reichstag a vu clairement tout ce qu’il y avait en M. de Caprivi de « bismarckien » ou mieux de prussien, tout ce qu’il y aurait inévitablement de prussien dans le chancelier de l’empire, quel qu’il fût. M. de Caprivi, comme l’avait fait à deux reprises M. de Bismarck, comme l’eût fait tout autre que lui, a brisé le Reichstag dès qu’il l’a trouvé en travers du chemin : « Un mauvais parlement n’arrête pas la marche de l’histoire du monde. » La dissolution du Reichstag, l’appel de l’empereur à l’Allemagne, n’est pas un acte de politique personnelle ; la crise présente n’est pas un accident, si, dans le calme profond où tout se passe, on peut dire que ce soit une crise ; sa véritable cause, celle qu’il faut aller chercher plus loin que ne va l’observateur hâtif, mais qui seule est vraie et seule agissante, en fin d’analyse, c’est la fatalité du développement national de l’Allemagne, sous la direction et sur le modèle de la Prusse.


II.

Ce « mauvais parlement » renvoyé, le Reichstag qui lui succédera sera-t-il meilleur ou plus souple ? Que va-t-il sortir des élections ? On ne tardera pas à le savoir, mais Dieu nous garde d’émettre un pronostic. Vaticiner est toujours ridicule et c’est quelquefois dangereux lorsque l’événement peut, le soir, démentir la prédiction du matin. D’autre part, pourquoi s’en mêler ? M. de Bismarck, par ses provocations et ses machinations, faisait du renouvellement du Reichstag une affaire européenne ; M. de Caprivi, plus sagement, n’en fait qu’une affaire allemande. Laissons l’Allemagne régler comme elle l’entend cette affaire allemande.

Du point de vue même de l’art pour l’art, de la pure curiosité, il serait imprudent de prendre et d’indiquer des favoris. Les élémens d’appréciation manquent trop. Il y a trop peu de courant pour qu’on puisse suivre le fil de l’eau. Tout au plus serait-il permis de risquer quelques conjectures d’après les expériences précédentes. On sait comment se répartissaient les 397 sièges dans le Reichstag de 1890. Les conservateurs purs en avaient 68 ; les conservateurs libres, 24 ; les nationaux-libéraux, 40 ; le centre, 106 ; les progressistes, 70 ; les socialistes, 36 ; les démocrates, 10 ; les Polonais, 16 ; les Guelfes, 10 ; les Alsaciens-Lorrains, 14 ; les Danois, 1 ; les anti-sémites, 4, et les indépendans, 2.

Par ordre d’importance numérique, venait d’abord le centre ;