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ou 300 hommes d’équipage. Les corsaires avaient avec eux des renégats européens ou des captifs chrétiens, anciens marins, sachant distinguer un navire de guerre d’un navire de commerce et pouvant dire à quelle nationalité il appartenait. Trop lâches pour affronter l’abordage d’un vaisseau de guerre, ils n’attaquaient que les navires marchands, qui, hors d’état de se défendre contre des équipages nombreux et bien armés, se rendaient à merci. Pour mieux tromper ceux qu’ils guettaient, les forbans déployaient des pavillons européens en ne laissant voir sur le tillac de leurs chébecs que les faces blanches de quelques renégats. Le navire capturé, il était conduit au port le plus proche où son capitaine devait donner le détail de la cargaison, et où on le menaçait de mort s’il en omettait une partie. Le bacha auquel était faite cette déclaration demandait à l’équipage s’il lui convenait d’abjurer, lui promettant, s’il se faisait musulman, la liberté et un brillant avenir. Refusait-il, ce qui était presque toujours le cas, on le conduisait en présence du souverain, lequel, pour chaque captif, payait aux corsaires 50 ducats. Ceux-ci avaient encore droit à l’argent de poche des matelots et à leurs hardes. Le navire, la cargaison et les pauvres gens qui le montaient restaient la propriété des beys. À Maroc, on conduisait les captifs dans le quartier juif, où ils trouvaient toujours d’autres prisonniers comme eux. Il y en avait de toutes les nationalités ; chacune d’elles formant un groupe que commandait un captif chrétien et dont il répondait sur sa tête. Le devoir de ce chef était de faire régner la paix entre les prisonniers, de leur donner une tâche à remplir, d’empêcher que les argousins, c’est-à-dire la chiourme marocaine, ne les frappassent par haine religieuse et ne leur prissent par violence la paie de 3 sous 4 deniers que le sultan, dans sa munificence, leur donnait journellement pour rémunérer leurs travaux. Ce qui est singulier, c’est l’obligation pour les Juifs de nourrir gratuitement les captifs et de leur donner tous les ans, au mois d’octobre, une somme de 15 francs qui devait leur servir à acheter des vêtemens. On peut supposer, sans crainte de diffamer les Israélites du Maroc, qu’une grande partie de la paie impériale rentrait dans leurs poches et que la nourriture de leurs cliens était des moins lourdes. Si, parmi les équipages prisonniers, il se trouvait des jeunes gens de belle prestance, on les « rasait, » puis on les abandonnait aux passions contre nature que saint Paul, dans une de ses épîtres, reproche aux Romains. Quant aux jeunes captives, des Andalouses et des Provençales pour la plupart, elles entraient dans des harems d’où ni menaces, ni prières, ni rançons, ne pouvaient les arracher.

En 1630, Richelieu fit racheter à Salé un certain nombre de