Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces derniers temps, que M. le comte d’Aubigny était fort bien en cour marocaine et qu’il y avait obtenu des avantages sur nos éternels rivaux. Dans l’opinion des Anglais, ces avantages seraient tellement légers, qu’ils ne leur causeraient aucune jalousie. Nous ne pouvons qu’être heureux de ne pas leur faire envie. Ils savent ceci aussi bien que nous : la pauvreté de l’agriculture du Maroc, les révoltes qui en rendent l’intérieur inhabitable, sa haine toujours vivace du chrétien, son mépris du luxe, n’en feront pas de sitôt un champ bien riche d’exploitation. Ainsi que nous l’avons dit dès le début, ce pays, comme voie de transit avec l’intérieur de l’Afrique, n’est plus, avec les projets de pénétration qui forcent dans tous les sens l’accès de ce continent, qu’une quantité négligeable. Son importance est dans le danger qui menacerait l’Algérie et le Sénégal, si l’un de ses ports venait à tomber aux mains d’une puissance qui, un jour, deviendrait notre ennemie. Un seul régiment étranger y débarquant pour nous combattre soulèverait aussitôt tout ce qu’il y a de musulman dans nos possessions. Là est le secret de la prépondérance que l’Angleterre cherche à conquérir à Tanger.

Pour nous résumer, disons que le Maroc des temps présens a été visité par divers personnages qui y sont allés en mission temporaire et y chevaucher, encadrés dans une troupe de cavaliers officiels leur servant plutôt de garde que d’escorte d’honneur[1], Mais ce que l’on sait de l’intérieur des terres et des villes a été surtout rapporté par des Espagnols échappés des bagnes de Ceuta ou de Melilla, par ces misérables qui se hâtent de renier leur dieu et leur patrie pour éviter le châtiment qui les frapperait s’ils étaient reconduits à leurs présides par les autorités du sultan. Depuis deux cents ans, aucun Marocain n’a fourni sur son pays la moindre note, pas plus qu’un aperçu des revenus et des transactions. Il existe bien, à la bibliothèque de la rue de Richelieu, la traduction du récit d’une ambassade envoyée de Fez en Espagne vers 1632, mais son auteur, — Et encore est-ce un Arabe, — Tout en décrivant ce qu’il voit à la façon des Lettres persanes ne songe nullement à faire ressortir la différence des mœurs castillanes avec celles de son pays. Ce qui reste debout et se continue de l’ancien Moghreb, c’est un sérail impérial qui, par le nombre de ses femmes, ferait prendre en pitié celui du grand Salomon ; c’est l’esclavage en ce qu’il a de plus avilissant et s’y étalant en plein jour avec son cortège d’eunuques, de noirs muets et de meurtres occultes. C’est le ghetto ou le quartier

  1. Voyez, dans la Revue de 1886, une série de récits, intitulée Une Ambassade au Maroc, par M. Gabriel Charmes, et dans la Revue du 1er août 1888, Un Voyageur français au Maroc, par G. Valbert.