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les gamineries dont la populace de Prague s’est rendue coupable, et à ménager les représentans de l’idée d’autonomie, c’est celui de la succession au trône. On n’ignore pas qu’en vertu de la constitution locale, où la loi salique est inconnue, c’est actuellement l’archiduchesse Elisabeth, fille de feu l’archiduc Rodolphe, qui doit hériter de la couronne de Bohême comme de celle de Hongrie, et que, si le mariage projeté entre cette princesse, âgée de dix ans à peine, et son oncle l’archiduc Ferdinand, successeur de l’empereur actuel, n’aboutissait pas, les États de la maison de Habsbourg seraient en péril, ou d’être partagés ou d’être la proie d’une guerre civile. Ce sont là des éventualités qui méritent bien quelques concessions.

Au point de vue européen, cette session des délégations autrichiennes, qui va se clore dans quelques jours, a eu la plus heureuse influence, en raison des trois discours qui y ont été prononcés par le comte Kalnoky. On avait déjà remarqué que l’empereur, dans son discours d’ouverture, n’avait fait aucune allusion à la triple alliance. Le ministre des affaires étrangères, chargé de commenter les paroles de son maître ou plutôt d’expliquer son silence, a fait, en faveur de la paix, la manifestation la plus importante de cette année en envisageant, quoique pour la repousser, l’idée d’un désarmement général, — mais c’est déjà beaucoup de prononcer un mot pareil dans un pareil moment. — Il s’est en outre félicité de ce que a les bonnes relations que l’Autriche entretient avec la Russie s’améliorent, » et, a-t-il ajouté, « cet état de choses constituera une des raisons dominantes pour lesquelles la tension militaire qui règne en Europe doit prendre fin. »

Pour nous, à qui suffit parfaitement l’entente cordiale existant entre la France et la Russie, et qui n’avons aucune jalousie des autres amitiés de l’empereur Alexandre III, nous avons enregistré avec le plus grand plaisir ces déclarations favorables à la paix du continent. Il n’en a pas été tout à fait de même en Allemagne, où cette prétention du comte Kalnoky de servir d’arbitre et de pivot à la politique des cours de Berlin et de Pétersbourg a fortement déplu, à l’heure où précisément on se prépare à un accroissement de forces militaires et où le résultat des élections du 15 de ce mois inspire de sérieuses inquiétudes. Aussi, pour satisfaire aux réclamations de son allié germanique, le ministre autrichien a-t-il été amené à atténuer ses déclarations précédentes. Le commentaire embarrassé qu’il leur a donné n’a toutefois servi qu’à les fortifier encore, en faisant ressortir le caractère purement « défensif » de la nouvelle triple alliance. Or les alliances défensives, nous les avons vues à l’œuvre : l’empereur Napoléon en avait de toutes semblables, en 1870, avec l’Autriche et avec l’Italie.

Vte G. d’Avenel