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sur la constitution de la propriété foncière, ne se produisit en Amérique qu’après la conquête. Les rois d’Espagne, désireux de conserver les indigènes et de les protéger contre les empiétemens des Européens, reconnurent formellement la propriété des communidades de Indios. Il leur fut interdit de vendre ou de concéder temporairement leurs terres aux Européens et elles furent placées sous la tutelle des intendientes royaux, comme les villes créées dans le pays le furent pour leurs biens communaux. Les Indiens ont sur bien des points gardé les terres dont ils étaient en possession de toute antiquité et, jusqu’à ces derniers temps, ils se les sont réparties selon leurs coutumes traditionnelles. Les rois d’Espagne cherchèrent même à augmenter leurs propriétés, d’abord en donnant aux communidades un droit de préférence sur les terres domaniales de leur voisinage quand elles étaient mises en vente (composiciones), puis en leur attribuant le domaine utile de terres de la Couronne à titre de repartimiento comme aux cités espagnoles ; la Couronne se réservait en ce cas la directe et des redevances récognitives. Mais la population rurale a été aussi mobile au Mexique pendant les trois derniers siècles qu’elle l’avait été en Europe au moyen âge. Quand un village d’Indiens disparaissait par suite d’épidémies ou de disette, ce qui était très fréquent, les tierras de communidades, aussi bien que les terrenos de repartimiento, faisaient retour à la Couronne. En revanche, quand un nouveau centre d’Indiens se formait, en vertu d’ordonnances de 1567 et de 1573, il lui était attribué à titre de pleine propriété (fundo legal) un rayon de terre de 600 varas pour former son territoire agricole, plus une lieue[1] de large autour et à partir du fundo legal pour faire pâturer les bestiaux que maintenant ils possédaient en grand nombre : c’est ce qu’on appelait les ejidos de los pueblos. La propriété collective persista généralement chez les Indiens ; les pâturages étaient utilisés en commun, les terres arables alloties entre les familles. Les lois espagnoles reconnaissaient bien la propriété individuelle du sol à leur profit ; mais les caciques avaient disparu, et quant aux petits propriétaires, ils aimaient mieux confondre leurs biens avec ceux d’une communidad pour s’assurer sa protection[2].

Dans le nord où les Espagnols rencontrèrent presque exclusivement des tribus de chasseurs à demi nomades, ils les fixèrent au sol par la mission établie toujours à une certaine distance du

  1. La vara a 0m,838, la lieue a 4,190 mètres.
  2. Voir un travail de don Emilio Velasco, ancien ministre du Mexique à Paris, Terrenos de indigenas, su origen juridico, dans l’Annuario de legislacion y jurisprudencia, Mexico, 1885.