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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/57

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Milan, le jour des morts. — La cathédrale a été décorée, pour la fête d’hier, de la parure des grands jours, qu’on n’a point enlevée encore. Tout le long de la nef principale et dans les bras du transept, des tableaux drapés de rouge sont pendus entre les colonnes. Ils représentent les actes de la vie de saint Charles Borromée, archevêque de Milan. La hauteur où ils sont placés ne permet guère de juger le mérite de la peinture. Mais ils obstruent les ogives, et l’immense vaisseau, déjà pauvre de lumière, en est devenu tout sombre. Il y a foule aux messes du matin, une foule composée d’autant d’hommes que de femmes, et simple, et familière en sa dévotion, beaucoup plus que les fidèles de nos pays français. On ne voit pas de ces rangs symétriques de bancs ou de chaises, les premiers réservés aux abonnés payans, les autres, en arrière, laissés aux pauvres. Mais chacun va prendre sa chaise dans un gros tas dressé à l’entrée du transept, et se place à sa guise. Un employé de l’église en distribue aussi quelques-unes, çà et là. Il est en livrée courte, comme un valet de chambre, ce qui m’a paru un progrès, et ne demande aucune rétribution, ce qui en est sûrement un autre. Les groupes sont très curieux. Je vois une dame en toilette de ville, élégante, son mari en pardessus clair, entourés de menu peuple et ne cherchant pas à s’en dégager. Devant eux, les serrant, les pressant du bord de leurs manteaux troués, deux bergers crépus, très graves, très sales, très durs de traits ; à gauche, une demi-douzaine de jeunes filles, assises sur les talons et dont les châles traînans font une vague mouvante, car elles se penchent souvent pour causer, à voix très basse, sans cesser d’être attentives, par le fond de l’âme, à l’office qu’elles suivent ; derrière, une rangée de femmes de la campagne, éclatantes de rouge et de jaune. Tout ce monde se coudoie plus volontiers que chez nous, et l’esprit démocratique de l’Italie se révèle dans ce coin du Duomo, comme ailleurs.

Je sors. Un matin gris. Le tramway qui conduit au cimitero monumentale est assiégé. Aux deux bouts de la rue, tout un peuple est en marche vers le même point, très loin au-delà des portes. Mais des milliers de vivans sont peu de chose dans ce champ des morts, le plus grand que j’aie vu en Italie, et, quand ils se sont répandus, en passant sous les arcades noires et blanches de l’entrée, dans les allées droites, parallèles, bordées de monumens et d’arbustes, ils disparaissent presque, ils n’enlèvent rien à la tristesse du lieu ni du temps. Les Milanais sont très fiers de leur cimetière, comme les Génois et les Messinois du leur. Il a dû coûter beaucoup de millions, tant à la commune qu’aux particuliers. Cependant, s’il y avait un concours, entre ces promenades funèbres, — car il y a du square et du jardin d’agrément dans les