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Mais cette jettatura ne semble-t-elle pas un ressouvenir du légendaire basilic, à la vue duquel moururent toutes les religieuses du monastère de Randone (vallée du Cusancin), sauf une seule, qui savait l’effet foudroyant de son regard ; elle lui présenta un miroir dans lequel il s’aperçut, et il expira sur l’heure ?

X. — USAGES, COUTUMES D’AUTREFOIS ET D’AUJOURD’HUI[1].

Qu’on le veuille ou non, une force invincible pousse les hommes à se ressembler, une sorte de niveau égalitaire efface ces traits particuliers qui séparaient les peuples, montagnes ou abîmes, la couleur locale disparaît des habitudes comme des costumes, la science, le télégraphe, les chemins de fer, la presse, le service militaire multiplient l’échange des idées, les occasions de faire et de penser pareillement. Jadis, le bourgeois de Besançon, celui de Rouen ou d’Angoulême, étaient à mille lieues les uns des autres, aujourd’hui leurs intérêts sont sensiblement les mêmes, et presque les mêmes leur vie, leurs lectures, leurs conversations : ils se rencontrent à Paris, aux bains de mer, à l’étranger ; des causes identiques affectent leur fortune, et jusqu’à ces grands établissemens de crédit qui partout ont des succursales, travaillent à cette unité d’où sortiront les sociétés de l’avenir. Certes le mouvement ne se développe pas aussi vite que voudraient les amateurs de géométrie sociale, mais il se produit nettement, il augmente sans cesse, et tout conspire à le rendre irrésistible : la démocratie qui, par son essence même, se montrera plus pacifique que les gouvernemens de droit divin ; le sentiment de la liberté qui apprend à respecter, examiner et adopter les opinions du voisin ; la civilisation, c’est-à-dire cet ensemble de principes, de progrès moraux et matériels auxquels aboutissent les efforts séculaires d’une nation, où se condensent son génie et son histoire. Cependant il ne saurait être question d’atteindre cette espèce d’uniformité chimérique rêvée par nos abstracteurs de quintessence, car cette même liberté, cette démocratie, cette civilisation qui rassemblent, donnent aussi la force de différer : du libre arbitre, comme d’une source intarissable, s’élancent des milliers d’énergies qui se

  1. Ch. Duvernoy, Montbéliard au XVIIIe siècle, 1891.— Ch. Roy, Us et coutumes de l’ancien pays de Montbéliard. — Chevalier, Histoire de Poligny. — Bourgon, Histoire de Pontarlier. — G. Colin, Chroniques de la Haute-Montagne ; — Album franc-comtois de Guyornand. — Désiré Monnier, Traditions séquanaises. — Alexandre de Saint-Juan, Album franc-comtois. — Bousson de Mairet, Annales d’Arbois. — Pizard, Documens inédits et Notes historiques sur Noroy-le-Bourg, Saint-Igny et Calmoutier.