Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout autrement répartie entre les diverses œuvres du romancier, en-deçà et au-delà des Alpes. Ici, tandis que l’Assommoir, Pot-Bouille, la Terre, n’ont que deux, trois, cinq éditions, une Page d’amour atteint quatorze éditions. Préférence esthétique ? Je ne le crois pas. J’inclinerais plutôt à penser que le titre a fait la fortune du livre, chez un peuple où l’amour, — le mot et la chose, — tient tant de place, et qui possède, pour exprimer l’idée de beauté, six noms pour un. Après une Page d’amour, nos voisins ont beaucoup lu la Débâcle. L’attrait était d’un autre genre. Ils ne me semblent guère, — à quelques exceptions près, apprécier les différences de style, même les plus grosses. J’ai entendu plusieurs hommes et plusieurs femmes dans des salons, parler avec attendrissement de M. Guy de Maupassant, et, presque dans les mêmes termes, de M. Fortuné du Boisgobey.

Autre signe. Nous avons quelques journaux qui publient des « petites correspondances, » mais combien pâles, en comparaison de celles que je rencontre ici, à la quatrième page d’un grand nombre de feuilles, et des plus sérieuses ! Je prends au hasard.

La passion se révèle et grandit :

« Belle Florentine, j’ai cru comprendre le signe de votre éventail. Si j’ai deviné, mettez-vous à la fenêtre, demain, même heure.

« Merci ! J’espère recevoir de bonnes nouvelles. Courage, mon ange, mon trésor, mon repos !

« La santé de maman empêche encore mon retour. Cependant, quand je songe, le regard plongé dans l’azur profond du ciel, à chaque étoile qui franchit les monts, à chaque souffle de la brise, je confie le salut de mon cœur, pour vous, ô très sympathique (simpaticona).

« Heureux et sûr de votre amour ! Je vivrais mille ans que je vous aimerais mille ans, idéal de mon cœur, unique reine absolue, toute ma pensée, toute mon âme ! Mille baisers petits, moyens et grands (bacini, baci e bacioni). Je t’adore ! »

Malheureusement, un soupçon se glisse :

« Étoile adorée ! vous vous amusez beaucoup ? Pourtant, je vis pour vous seule ! Ecrivez au moins. Ce long retard me fait pressentir de tristes nouvelles. Mon Dieu ! quelle peur ! Je me défie d’un officier… J’ai d’affreuses prévisions ! »

Il y a aussi l’ultimatum, parfois en forme brutale.

« Bien peu de gentillesse dans votre façon d’agir. Si vous êtes décidée à ne pas m’écrire, dites-le, parce que vous ne recevrez plus mes correspondances. Rappelez-vous que je n’ai jamais prié le sexe faible. »

Il y a enfin le congé !