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moins 100 fruits, on verra que l’importation de 1889 a donné un total de plus d’un milliard et quart de bananes ; si considérable que paraisse ce total, ce n’était encore qu’environ vingt bananes par tête d’habitant. Or on peut, sans crainte d’erreur, évaluer à un minimum d’un régime par an et par tête, soit à 70 millions de régimes, le chiffre moyen de la consommation des États-Unis ; ce chiffre, bien qu’infiniment au-dessous de celui pour lequel la banane entre dans l’alimentation des blancs, habitans des pays tropicaux, est déjà près de six fois supérieur à l’importation de 1889. On voit par là quelle marge énorme existe encore entre l’offre et la demande et dans quelles proportions la production devrait s’accroître le jour où les bananes entreraient, pour une part, si infime fût-elle au début, dans l’alimentation de l’Europe. Ce jour est proche ; nous n’en voulons pour preuve que le nombre de plus en plus considérable de régimes de bananes qui figurent à l’étalage de nos marchands de comestibles à Paris et le fait qu’à Marseille on rencontre à chaque coin de rue des débitans de ce fruit. Ce n’est encore qu’un produit exotique, une primeur de luxe dont quelques-uns seulement ont pu apprécier les qualités nutritives et la chair fondante. Le prix en est trop élevé pour les petites bourses ; mais le jour où ce prix, considérablement réduit, mettra la banane à portée de la consommation populaire, nul doute qu’elle ne trouve en France, et par la France en Europe, un débouché important. En ce qui concerne les États-Unis, il en va déjà ainsi et dans une progression bien autrement rapide.

Ce qui le prouve, c’est qu’en 1890 l’importation s’est accrue de 4 millions de régimes, 400 millions de fruits ; 1891 a donné un résultat supérieur encore et, avant peu, les pays producteurs seront en mesure de fournir aux États-Unis 25 millions de régimes à l’année. Il va sans dire que Baracoa seule n’eût jamais pu suffire à une pareille consommation, bien que la culture des bananiers y ait pris un développement surprenant. Un syndicat de capitalistes a récemment acheté à Gibara, près de Baracoa, de grands terrains promptement mis en culture et sur lesquels on a déjà planté 1,300,000 pieds de bananiers dont la récolte s’effectue cette année. Les variétés adoptées sont le plantain, le plantano des Espagnols, et le bananier de Chine. Le premier est remarquable par son aspect grandiose et l’ampleur de ses feuilles qui atteignent jusqu’à deux mètres de longueur ; ses fruits oblongs, à côtes légèrement anguleuses, contiennent beaucoup de fécule. Quand la récolte en est trop abondante, ce qui était le cas il y a quelques années avant l’ouverture des débouchés actuels, les nègres les râpaient, les pressaient et les convertissaient en une farine saine dont ils faisaient une bouillie très nourrissante. Moins élevé, le bananier de Chine