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et envoyer les détachemens de ces deux corps sur les points les plus importans à occuper, s’en servir pour arrêter les fonctionnaires publics dont la résistance est le plus à craindre » ; cela fait, publier et proclamer par toute la ville le prétendu sénatus-consulte ; appeler à soi les mécontens de toutes les couleurs,, de tous les partis » ; assembler à l’Hôtel de Ville les plus importans d’entre eux ; en former un gouvernement provisoire avec lequel ils se flattent de vaincre toutes les résistances, d’entraîner l’obéissance : et l’assentiment de la France entière : tel est l’ensemble des opérations que le général Malet et M. Lafon vont tenter, en sortant, le 23 octobre, à huit heures du soir, de la maison de santé.

Leur départ ne souffrit aucune difficulté. Ils se transportèrent d’abord près de la place Royale, rue Saint-Gilles, où ils s’étaient assurés d’une chambre qu’occupait un prêtre espagnol. Il paraît sûr que, déjà dans la nuit du dimanche précédent, ils s’étaient rendus dans ce même lieu, mais qu’ayant attendu trop longtemps un des individus dont la coopération leur était nécessaire, ils avaient pris le parti de rentrer dans la maison de santé. Je crois même que le maître de cette maison avait donné avis au ministre de la police de cette première sortie ; on y avait fait peu d’attention, dans la pensée, sans doute, que l’escapade avait eu lieu pour quelque partie de plaisir sur laquelle il valait mieux fermer les yeux. L’asile momentané de la rue Saint-Gilles leur avait été procuré par les soins d’un jeune homme nommé Boutreux, qui venait souvent visiter M. Lafon et le général Malet. Il était natif d’Angers, licencié en droit ; on a lieu de penser qu’il avait fait partie de la société des Philadelphes, Les deux conspirateurs s’étaient décidés à le mettre dans leur confidence, ne pouvant se passer d’un complice en état de leur trouver un lieu dans lequel ils pourraient rédiger en sûreté les pièces nécessaires et où le général Malet revêtirait son uniforme. Ce fut Boutreux, en effet, qui reçut, dans l’appartement du prêtre espagnol, les deux conjurés, auxquels vint se joindre aussitôt un caporal du 1er bataillon d’un régiment de la garde de Paris, nommé Râteau. C’était lui qui s’était fait attendre le dimanche précédent ; il avait été séduit par le général Malet, dans la maison de santé, où il venait assez souvent rendre visite à un de ses parens. Il devait apporter et apporta, en effet, le mot d’ordre. Ces deux individus, avec le prêtre espagnol, sont les seuls qui aient été notoirement mis à l’avance dans le secret de la conspiration. Les pièces à rédiger et à copier consistaient dans le sénatus-consulte supposé, dans la proclamation de ce sénatus-consulte et dans un ordre du jour daté du 23 ou 24 octobre, signé Malet, plus deux lettres contenant des instructions très détaillées