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chimie, opinion qui tombe devant la connaissance exacte des auteurs originaux.

J’ai consacré près de dix ans à ces études, et publié pour la première fois les textes des chimistes grecs d’abord, puis ceux des chimistes syriens et arabes, demeurés jusque-là ensevelis dans les grandes bibliothèques de Paris, de Londres et de Leyde ; on dédaignait de les lire, parce qu’on les regardait comme chimériques et inintelligibles. Il y a cependant dans ces vieux textes une science réelle et profonde, mélangée, à la vérité, de notions erronées sur la transmutation des métaux, et de prétentions illusoires et souvent charlatanesques. J’ai cherché à dégager de cet alliage le côté scientifique proprement dit ; et j’ai montré la source de l’erreur fondamentale de l’alchimie dans les théories philosophiques de Platon et d’Aristote sur la constitution de la matière. Je me propose de retracer aujourd’hui, aux lecteurs de la Revue, les notions acceptées par les alchimistes grecs et de leur présenter la suite de mes études sur les alchimistes syriens, arabes, et sur les commencemens de l’alchimie latine, telle qu’elle s’est développée, au moment même de cette première réapparition des arts et des lettres antiques au xiiie siècle, qui précéda la grande et définitive renaissance du xvie.


I. — L’ALCHIMIE GRECQUE.

Rappelons d’abord les faits découverts par les alchimistes grecs, ainsi que les idées et les théories qui leur servaient de guides ; ces faits et ces idées sont le point de départ des développemens ultérieurs.

Les métaux purs ne se rencontrent guère dans la nature, à l’exception de l’or, exploité de tout temps à l’état natif, dans les alluvions des fleuves, ou dans les roches des diverses époques géologiques. On trouve aussi dans les mêmes conditions un alliage natif d’or et d’argent, appelé par les anciens or blanc ou électrum, et qui fut regardé comme un métal particulier jusque vers le vie siècle de notre ère : il a même été employé dans la fabrication de la monnaie par les Lydiens, puis par les villes grecques de l’Asie-Mineure, jusque vers le temps d’Alexandre. Mais cet alliage ne présente aucune fixité dans ses propriétés, les proportions relatives des deux composans étant variables. En raison de cette diversité même, il a joué un rôle important dans les idées et les tentatives des alchimistes, relatives à la transmutation des métaux ; car on pouvait en extraire à volonté de l’or ou de l’argent, suivant les traitemens employés : de là l’opinion que l’électrum était susceptible d’être changé dans l’un ou dans l’autre des deux métaux nobles.