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il de différentes sortes ? — Oui, il est de différentes sortes et il a une très grande puissance. N’as-tu pas entendu dire à Hermès : Le rayon de miel (mercure) est blanc (argent), et le rayon de miel est jaune (or) ? — Oui, je le lui ai entendu dire. Mais ce que je veux apprendre, Synésius, enseigne-le-moi. — C’est l’opération que tu sais (la transmutation). — Le mercure prend donc de toute manière les apparences de tous les corps ? — Tu as compris, Dioscorus. En effet, de même que la cire affecte la couleur qu’elle a reçue, de même aussi le mercure, ô philosophe ! blanchit tous les corps et attire leurs âmes, il les digère par la cuisson et s’en empare. Étant donc disposé convenablement et possédant en lui-même le principe de toute liquidité, lorsqu’il a subi la transformation, il prépare tout le changement des couleurs. Il forme le fond permanent, tandis que les couleurs n’ont pas de fondement propre ; ou plutôt le mercure, perdant son fondement propre, devient un sujet modifiable par les traitemens exécutés sur les corps métalliques. — Le mercure travaillé par nous reçoit toutes sortes de formes… »

En résumé, le mercure étant la matière première des métaux, il fallait d’abord le fixer, c’est-à-dire le rendre solide et stable au feu, à la façon des métaux proprement dits ; puis il fallait le teindre, à l’aide d’un principe tinctorial, blanc ou jaune, tel que le soufre, ou les sulfures d’arsenic ; ce qui devait le changer finalement en argent ou en or.

Ajoutons, pour compléter cette exposition, que le mot mercure avait des acceptions multiples. Non seulement on distinguait, comme le fait Pline, le mercure natif, extrait directement des mines, du vif argent artificiel préparé au moyen du cinabre ; mais ce dernier même était appelé mercure de cuivre, mercure de plomb, mercure d’étain, suivant qu’on le préparait à froid, en broyant le cinabre dans un mortier de cuivre, de plomb, d’étain, avec divers ingrédiens ; le mercure obtenu paraissait participer du métal qui avait servi à le préparer. Pour nous, c’est toujours le même mercure, rendu impur à la vérité par quelque trace du métal précipitant ; mais, aux yeux des alchimistes, c’étaient des métaux différens ; il existe à cet égard chez les Grecs, et surtout dans les traductions syriaques de Zosime, des textes décisifs. Pour comprendre les idées des alchimistes sur ce point, il faut se reporter aux faits qu’ils avaient observés. Mais il y a plus, le mot mercure désignait à leurs yeux deux matières radicalement différentes pour nous : le mercure moderne, ou mercure tiré du cinabre, et l’arsenic métallique, qu’ils appelaient le mercure tiré de l’orpiment. L’un et l’autre, en effet, sont volatils et sublimables ; l’un et l’autre teignent le cuivre en blanc ; l’un et l’autre forment des sulfures rouges. On voit, par ces détails précis, quelle extension de sens