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orfèvres égyptiens, pratiques dont la date initiale se perd dans la nuit des temps, avaient été réduites d’abord en corps de doctrines par les Grecs alexandrins, puis transmises de bonne heure aux artisans romains et traduites en latin. Pratiques et opinions se sont perpétuées dans les ateliers occidentaux, en Italie et en France, au milieu de la décadence carolingienne et jusqu’aux viiie et xe siècles, époques de la transcription des manuscrits de Lucques et de Schlestadt. Ces pratiques, maintenues par la technique des métaux précieux, se sont rejointes vers le xiie siècle avec les pratiques et les théories des alchimistes grecs, ramenées d’un autre côté, en Occident, par l’intermédiaire des Arabes, qui les avaient eux-mêmes appris des Syriens, disciples directs des Grecs.

C’est de cette seconde branche de la tradition chimique que je vais maintenant m’occuper.


III. — LA SCIENCE ET L’ALCHIMIE SYRIAQUES.

Les conquêtes d’Alexandre transformèrent l’Orient ; elles introduisirent la culture hellénique en Égypte, en Syrie, en Mésopotamie, et jusqu’en Perse et dans la lointaine Bactriane. De grandes cités grecques ne tardèrent pas à être fondées, depuis les rivages de la mer jusqu’à la région du Tigre. Cependant la civilisation grecque ne réussit pas à étouffer complètement celles qui l’avaient précédée. Celles-ci exercèrent d’abord sur les souverains grecs eux-mêmes une influence profonde, et la langue même des vaincus finit par reparaître jusque dans l’ordre officiel et littéraire. Les peuples syriens, convertis au christianisme, réclamèrent pour leurs besoins religieux un texte de l’ancien et du Nouveau-Testament dans leur langue native : ce fut la version Peshito, écrite vers la fin du iie siècle de notre ère. Non-seulement les ouvrages des pères grecs furent traduits, avec les décrets et les canons des conciles ; mais les Syriens possédèrent des saints et des pères autorisés, tels que saint Ephrem, dans leur propre langue. Des académies se fondèrent pour développer la culture syriaque, au sein même de l’empire byzantin.

Édesse devint ainsi le siège d’une académie et d’une bibliothèque, où l’étude des sciences profanes se mêlait à celle des sciences religieuses. Dès le ve siècle, Cumas et Probus traduisaient du grec en syriaque les œuvres d’Aristote et les livres de médecine, de géométrie, d’astronomie, de grammaire et de rhétorique.

Mais l’histoire prouve que la culture scientifique ne demeure pas longtemps fidèle à l’orthodoxie. L’habitude des méthodes de critique et d’observation que l’on puise dans les sciences naturelles ne tarde guère à être transportée dans la théologie, et son premier résultat, c’est l’hérésie. Les doctrines de Nestorius servirent de texte