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sortit de la basilique et se prosterna en avant des portes. Il descendit péniblement de sa litière et parut chanceler. Mais il vit alors, au fond de l’abside étincelante, dans le grand cadre d’or des mosaïques byzantines, l’autel chargé de fleurs et le calice voilé ; il redressa sa taille et, le front haut, légèrement appuyé sur l’épaule de Victorien, il entra d’un pas ferme dans la nef, précédé par la croix à trois branches et les cardinaux marchant deux à deux. Sur les degrés du chœur, un clerc lui présenta l’eau dans une aiguière d’argent, mais il refusa de quitter les ornemens pontificaux que les brigands de Cencius avaient flétris ; sous le pallium lacéré, la chasuble souillée, il gravit les marches de l’autel, ayant toujours à sa droite cet enfant aux yeux doux et fiers que personne ne connaissait. Il s’inclina et demeura quelques instans en oraison ; puis il découvrit le calice et communia.

— Et c’est ainsi, écrit naïvement un vieux témoin, qu’étant toujours à jeun depuis la veille, il acheva, la nuit venue, la messe commencée au premier chant du coq.


III. — « VITA NUOVA. »

Le Latran, palais des papes, se dressait, dans la solitude du Cœlius, fort au-dessus des murailles de Rome, si hautes déjà des deux côtés de la porte Saint-Jean. C’était à la fois une citadelle et un monastère, hérissé de tours crénelées et de campaniles aigus. Des galeries ouvertes sur la campagne on voyait les montagnes du Latium, de la Sabine et de l’Apennin, du sommet des tours on découvrait Rome entière et la mer. De là, jusqu’au Colisée, jusqu’à la porte Majeure et la porte Saint-Laurent, l’œil n’apercevait rien que le désert, quelques bouquets de mûriers ou de cyprès et des champs couverts de ronces où fourmillaient les couleuvres. Sur la pente de la colline tournée vers la voie Saint-Sébastien et les Thermes de Caracalla, le long des remparts, s’étendaient les jardins pontificaux, des jardins sauvages et touffus qui verdoyaient à la grâce de Dieu et du soleil. Les jardiniers les avaient abandonnés en même temps que le dernier pape de Tusculum en était sorti.

Grégoire VII et Victorien, suivis d’une foule immense, entrèrent au milieu de la nuit dans le Latran. Quand la porte massive se fut refermée derrière lui, l’enfant se sentit pris par la terreur ; il lui sembla qu’il descendait, tout vivant, au sépulcre.

Le lendemain et les jours qui suivirent, guidé par un vieux moine auquel le pape l’avait confié, il parcourut en tous sens la