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masculin, moins religieux, a deux fois plus mérité les vengeances célestes.

MM. Lombroso et Ferrero se rapprochent de la vérité et font, cette fois enfin, une application exacte du darwinisme, quand ils remarquent que la sélection sexuelle, en donnant la victoire à la grâce physique, l’a donnée aussi à toutes les qualités morales qui s’associent à la grâce. L’influence de la beauté sur la bonté, voilà, selon nous, un sujet à propos duquel on pourrait écrire bien des pages. La beauté est pour la femme un don naturel, une fonction et presque un devoir. Elle doit charmer l’homme et entretenir dans l’espèce la tradition du beau. En même temps, la beauté est pour la femme le grand moyen de l’emporter sur les autres femmes. Ce n’est pas par la force et pour la force que les femmes luttent, mais par la grâce et pour la grâce ; et c’est une loi qui se vérifie jusque dans le monde animal. Mais la grâce implique l’harmonie des lignes et des mouvemens, la douceur et le calme de la physionomie, de la démarche, des gestes, en un mot toutes les expressions physiques de l’amabilité. Aussi la femme a-t-elle toujours cherché, par un art instinctif, à se parer de ces qualités visibles. Or, une loi psychologique bien connue veut que chaque état d’âme et ses signes extérieurs soient indissolublement associés : non-seulement l’état d’âme produit son expression au dehors, mais l’expression, à son tour, tend à éveiller l’état d’âme. Chaque geste doux ou tendre, chaque mouvement gracieux du visage aura donc une tendance à mettre l’esprit dans une attitude de douceur, de paix et de grâce. En s’exerçant à être belle, la femme s’est exercée à être bonne.

Dira-t-on, avec Schopenhauer, que cette grâce dure bien peu de temps ? « Comme la fourmi femelle, en devenant mère, perd ses ailes, de même aussi, après deux ou trois enfans, la femme perd sa beauté. » — Est-ce bien sûr ? Et quand cela arrive, ne faut-il pas s’en prendre à nos habitudes modernes de vie mal réglée ? Si la femme, au lieu d’être de plus en plus lancée dans la lutte pour l’existence et dans la concurrence avec les hommes, pouvait remplir avant tout sa vraie et naturelle mission d’épouse, de mère, d’éducatrice, tout entière à aimer et à être aimée ; si ce que nous appelons notre civilisation ne l’obligeait pas, par une vie contraire à l’hygiène, de s’épuiser avant l’heure, en cumulant le travail de la maternité avec d’autres travaux, et aussi avec des amusemens qui sont pires que des travaux, la femme conserverait presque toute sa vie cette jeunesse de corps et d’esprit qui est dans sa nature même, qui résulte d’un tempérament où les forces de réserve l’emportent sur la dépense, qui ainsi rend visible aux yeux la perpétuelle jeunesse de l’espèce. Enfin, même quand la