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Quant à la Russie, son chef est en train de recueillir les fruits de la politique, en tous points, sage et modérée, qu’il n’a cessé de suivre. M. de Jomini, dans des notes demeurées manuscrites sur l’histoire russe contemporaine, rédigées il y a une trentaine d’années pour l’éducation du tsarévitch, s’exprimait ainsi : « Le premier intérêt de la Russie, c’est le repos. Nous devons vivre de notre propre vie, développer nos ressources dans la direction de notre génie national. C’est là, et pas ailleurs, que se trouvent les conditions de notre puissance. » Nul ne sait quelle impression ces conseils du vieil homme d’État moscovite ont faite sur l’esprit du futur empereur ; mais il est certain qu’il y a conformé sa conduite sur le trône. Allégé des chimères du panslavisme, dont on le disait imbu lors de son avènement, Alexandre III poursuit, sur le terrain solide des progrès économiques, l’opération colossale de mise en valeur des forces de son empire. Les préoccupations militaires, dont témoignent le développement de sa marine et, tout récemment, l’inauguration du port de guerre de Libau, au point extrême du littoral russe de la Baltique, sur une rade qui ne gèle jamais ; ces préoccupations ne l’empêchent pas de donner une active impulsion aux œuvres de la paix, au bon ordre des finances, dont l’assiette est allée sans cesse s’améliorant depuis quelques années, aux grands travaux publics, tels que le prolongement de la ligne transcaspienne, de Samarcande à Taschkend, d’un côté et, de l’autre, le chemin de fer transsibérien, destiné à mettre un jour en communication l’Europe et l’extrême Asie : deux maîtresses entreprises, qui suffiraient à illustrer ce règne.

Les États-Unis nous offraient seuls jusqu’ici l’exemple de conceptions aussi gigantesques ; et il est curieux, pour l’observateur, de constater les efforts analogues de deux États qui diffèrent autant par la constitution politique, les mœurs, l’organisation sociale, que l’autocratie russe et la démocratie américaine. Ce serait un malin plaisir aussi, pour les sceptiques qui ne croient pas à la vertu propre des formes de gouvernement en elles-mêmes, que d’opposer le régime de large contrôle et de libre discussion dont jouissent les États-Unis, lequel devrait les préserver de ces fautes lourdes, de ces abus de pouvoir qu’un monarque absolu et mal informé semble plus propre à commettre qu’un parlement élu, d’opposer, dis-je, un régime si excellent en théorie, aux pratiques détestables que les derniers congrès ont suivies à Washington, et qui les ont conduits à la crise financière que la république vient de traverser ; crise la plus grave que ce pays ait connue depuis vingt ans et qui, si elle se fût prolongée, était de nature à mettre en péril le crédit national.

Dans les sept premiers mois et demi de 1893 on a enregistré près de neuf mille faillites de maisons de commerce, de banques ou d’établissemens industriels. La grande majorité des désastres, qui se sont