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encombrante écartait et entravait les forces libres de la nation : « La plupart des députés étaient mécontens, ajoute-t-il, et ils disaient que la France est incapable d’ordre. »

Peu à peu cependant chacun se plaça, et Louis XIII ouvrit la séance. Il se leva, sous le dais de velours, et les députés, venus de si loin pour saluer et reconnaître leur jeune roi, purent enfin le contempler tout à loisir.

Ce qui, de prime abord, remplissait d’émotion l’assistance et portait vers lui tous les cœurs, c’était le souvenir toujours présent du grand malheur qui, dans une si tendre enfance, l’avait porté sur le trône. Presque tous ceux qui étaient là réunis avaient connu son père, ce bon roi, ce grand roi mort si tragiquement. Les uns avaient combattu à ses côtés, d’autres l’avaient salué à son entrée dans l’une des bonnes villes du royaume ; tel autre l’avait reçu au fond de quelque manoir de province, alors que, soldat de fortune, il se donnait tant de mal pour conquérir son héritage. Et voilà son fils maintenant, le pauvre enfant, chargé, si jeune, d’un poids si lourd, frêle héritier de tant de travaux et de tant de gloire.

Il ne ressemblait pas au défunt. Quoique bien fait de corps, il n’avait, de son père, ni la figure, ni le regard. Hier encore enfant admirable et sain, l’adolescence dans laquelle il entrait l’assombrissait et l’alourdissait. Les joues mates et molles, l’œil terne, la mâchoire inférieure proéminente, — « le museau » épais des Médicis, — ne rappelaient en rien la promptitude et la vivacité du sang des Bourbons. Ceux qui, dans cette foule, avaient des attaches à la cour disaient qu’il était paresseux, fantasque, inhabile aux lettres, le plus souvent sombre et mélancolique. Il aimait les arts mécaniques, la musique, les inventions, les exercices du corps, les choses de la guerre ; il montait bien à cheval ; il adorait la chasse, notamment la chasse à l’oiseau, et, dans le château de Saint-Germain où il avait été élevé, les oiseliers et les dresseurs de pies-grièches étaient ses premiers favoris.

Au physique comme au moral, il avait été mal élevé. Purgé et saigné outre mesure, flatté et violenté, caressé tour à tour et abandonné, entouré d’un harem de domestiques, qui ne savaient qu’inventer pour le distraire ou le corrompre, changeant à tout instant de précepteurs, il avait été gâté et, si nous en croyons Saint-Simon, volontairement perverti de bonne heure. Par un odieux calcul, les Italiens de l’entourage de Marie de Médicis auraient affaibli sa volonté, diminué son intelligence, et altéré sa santé. Des sentimens qui conviennent à un roi, on n’avait guère développé en lui que l’orgueil, mais un orgueil qui se changeait trop souvent en une froide et taciturne timidité.