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notre science ne remontaient pas, disait-on, au-delà des croisades. Ces affirmations, que l’on trouve dans un grand nombre d’auteurs du commencement de ce siècle, n’ont en réalité d’autre fondement que l’ignorance où ils étaient des véritables sources, je veux dire des textes grecs, syriens et arabes, demeurés manuscrits dans les bibliothèques ; joignez-y le mépris que les adeptes d’une science, constituée enfin sur des bases rationnelles, professaient alors pour les opinions incertaines et confuses de leurs prédécesseurs, et l’impossibilité apparente de débrouiller le fatras symbolique et mystique, accumulé par les auteurs des xve et xvie siècles. Mais aujourd’hui, cet état d’esprit a bien changé. Nous avons en toutes choses le souci de remonter aux origines et d’y chercher la compréhension des idées ultérieures. Les textes anciens ont été publiés, traduits, commentés : en grande partie, qu’il me soit permis de le rappeler, par moi-même, ou sous ma direction. Or ces textes ont révélé tout un ordre nouveau de faits positifs et de doctrines coordonnées et rationnelles. Ils ont ressuscité la science chimique de l’antiquité et nous ont livré la clé de ces systèmes en honneur jusqu’au xviiie siècle et qui représentaient, sous le voile de leurs emblèmes, toute une philosophie, connexe avec la métaphysique des Alexandrins, disciples de Platon et d’Aristote.

Dès lors, l’alchimie arabe a dû tomber au second rang : en réalité, les Arabes ne sont pas les créateurs de la science, ils en ont été seulement les continuateurs. À ce titre même, leur rôle a été fort exagéré, parce qu’on leur a attribué non-seulement les travaux de leurs prédécesseurs helléniques, sur la distillation par exemple, mais aussi les découvertes faites par leurs successeurs dans l’Occident, aux xive et xve siècles. Les œuvres purement latines du faux Geber, écrites du xive au xvie siècle par divers pseudonymes, ont contribué à cet égard à jeter sur l’histoire de la chimie une obscurité qui n’est pas encore dissipée. Mais la publication des ouvrages authentiques des chimistes arabes et de celles du véritable Geber, en particulier, fait à cet égard une lumière définitive, et permet d’assigner à l’œuvre des Arabes son importance et son caractère réels. — Je vais essayer d’en donner une idée aux lecteurs de la Revue.

Les écrits chimiques en langue arabe se partagent en deux catégories distinctes : les uns sont de véritables traités descriptifs et pratiques de chimie, analogues aux traités de matière médicale, mais coordonnés suivant des principes et une méthode que nous ne trouvons ni chez les Grecs, ni chez les Syriens ; les autres écrits sont au contraire des compositions théoriques, mêlées de philosophie et de mysticisme, et où l’on rencontre sur la constitution des