Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enhardi par un geste du pape, Joachim fit un petit discours, dépourvu de textes sacrés, où éclatait la bonté naïve de son cœur. Il dit qu’étant pasteur de l’église d’Assise il n’avait aimé que les faibles et les humbles et que, pour cela, les seigneurs l’avaient repoussé loin de son diocèse. Maintenant, privé de son troupeau, maître de ses loisirs, il se sentait une vocation nouvelle, pour l’amour de Dieu : il appelait à lui les enfans. Il croyait ainsi glorifier l’Évangile. Le saint-père lui avait donné, la veille, le fils du baron Cencius, il lui demandait aujourd’hui la tutelle religieuse de Pia. Sa charité serait assez grande pour le salut de deux orphelins.

— Qu’il soit fait selon votre bonne volonté, mon frère, répondit Grégoire, et que cette enfant aille à vous. Pia, voici votre père spirituel, vous lui obéirez en tout ce qu’il ordonnera. Soyez bénie, ma fille, et puissent vos vertus consoler ma vieillesse !

Pia fit alors à son grand-oncle une révérence très savante d’adoration, que l’abbesse lui avait apprise dès l’aurore ; en même temps, par une inspiration subite, elle portait à deux reprises ses petites mains à ses lèvres, d’un tel élan d’amour, que le pape, soulevant les pans de sa chape rouge, brodée de palmes d’or, ouvrit les bras comme pour la recevoir sur son cœur. Mais la jeune fille n’osa point manquer au rituel sévère qu’on lui avait prescrit : elle salua avec vénération les seigneurs cardinaux, avec respect les seigneurs évêques et, entraînant sur ses pas la pauvre abbesse toute déconfite de sa déchéance trop visible et la petite troupe des nonnes, elle sortit de l’église.

La porte de Saint-Sauveur, que gardaient les capitaines de Rome, se referma sur Pia avec un bruit grave, et il sembla aux pères du concile qu’un clair rayon de soleil venait de s’éteindre. Ils reprenaient l’âpre bataille contre une moitié de la chrétienté pour l’intégrité de la hiérarchie catholique. Ce jour-là, ils devaient frapper de terreur l’église allemande en retranchant de la communion de Rome les évêques et les abbés complices du crime de l’empereur. Le coup de foudre atteignit d’abord Siegfried, archevêque de Mayence, inspirateur du concile schismatique de Worms, puis les évêques déjà flétris par une première excommunication, Otton de Ratisbonne, Otton de Constance, Burchard de Lausanne ; l’épiscopat germanique presque entier ; puis, les évêques de Lombardie en masse. Grégoire arrachait des mains de ces indignes la crosse et l’anneau, leur interdisait le sacrement de l’autel, le droit de s’entretenir avec Dieu. Ceux d’entre eux qui auraient cédé aux violences d’Henri pouvaient néanmoins, jusqu’au jour de Saint-Pierre, implorer l’absolution pontificale. Beaucoup d’anathèmes s’égarèrent en passant sur les Alpes et tombèrent dans la vallée du Rhône ; Hermann, évêque de Vienne, avec une partie de son