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Darwin explique même très habilement cette influence de l’attention sur la rougeur. D’après lui, l’attention portée sur une région quelconque du corps modifie, dans cette région, la circulation capillaire. Par exemple, on modifie les mouvemens involontaires du cœur en fixant sur eux l’attention. La sécrétion salivaire est surexcitée quand nous imaginons fortement un fruit acide. « Les mouvemens péristaltiques de l’intestin sont influencés par l’attention qu’on porte sur eux. » C’est ce qui a lieu pour le visage : sous l’influence de l’attention, les vaisseaux se relâchent plus ou moins et se gorgent de sang artériel ; alors on rougit. — De plus, ajoute Darwin, grâce à l’habitude et à l’hérédité, les capillaires de la face sont devenus extrêmement sensibles : l’habitude ancestrale de porter sur eux l’attention a modifié leur tonicité. Voilà pourquoi nous rougissons aujourd’hui à la première alerte ; nous n’avons même plus conscience de porter notre attention sur notre visage : là est pourtant la vraie cause.

Cette théorie est intéressante et spécieuse ; est-elle exacte ? — Laissons de côté l’influence de l’attention sur les vaisseaux capillaires ; c’est là une question de psycho-physiologie qui est ici accessoire ; notons simplement qu’il y a peut-être quelque désaccord entre cette idée de Darwin et l’idée de Claude Bernard que nous rappelions au début. — Ce qui nous intéresse, c’est cette loi proposée par Darwin : l’attention portée sur notre personne physique est la cause de la rougeur. Cette loi nous paraît très contestable. — En effet, il nous arrive de porter fortement notre attention sur notre visage sans que nous rougissions pour cela. Quand nous nous regardons dans une glace, nous sommes attentifs à notre personne physique ; pourtant nous ne rougissons pas. Si je ressens une douleur à la face, je fixe mon attention sur la région endolorie ; pourtant je ne rougis pas. Peut-être se produit-il une légère dilatation des capillaires, mais qui ne ressemble en rien au phénomène de la rougeur.

Sans doute, dans la plupart des cas de rougeur, nous portons notre attention sur notre visage, mais ce n’est pas la circonstance vraiment essentielle. — Un enfant pris en flagrant délit de mensonge est, sans doute, un peu préoccupé de son visage, mais ce qui le préoccupe bien autrement, c’est la pensée secrète qu’il voulait à tout prix dissimuler, et qui risque de paraître au grand jour. — De même, lorsqu’on nous dit une vérité qui nous pique : sans doute, alors nous songeons à notre visage qui peut trahir notre émotion ; mais ce n’est pas là le fait important : le fait important, c’est le sentiment qu’on aperçoit en nous ce que nous voulions cacher, qu’on viole les retraites intimes de notre âme. — Quand